ssis quand M. de Chambrais
etait entre et, prenant une lettre, il la tendit ouverte au comte.
--Lisez cette lettre, dit-il je l'ecrivais a mademoiselle de Chambrais,
et, puisque je ne vous attendais pas,--mon cri de surprise en vous
voyant vous l'a prouve,--vous ne pourrez pas supposer que je l'avais
ecrite par calcul, pour ma defense, et vous verrez si d'avance elle ne
repondait pas a vos accusations.
--Et que m'importe votre lettre, repondit le comte dedaigneusement sans
avancer la main.
Mais il n'eut pas plutot dit ces quelques mots, qu'une reflexion le fit
revenir sur ce premier mouvement de mepris.
Deja Nicetas avait repose la lettre sur la table.
--Donnez, dit le comte.
Se placant sous le chassis d'ou la lumiere tombait vive et crue, il lut:
"Voudrez-vous lire cette lettre? Aurez-vous le courage de la lire?
"Pourtant, il faudrait que vous sachiez.
"A vous aussi il a manque une mere, un pere, mais en grandissant vous
avez compris que vous aviez la fortune, la consideration, l'honneur, le
nom; rien a mendier; pas d'indignation a dompter; pas de situation a
conquerir; la vie toute faite, un peu vide d'affections sans doute,
cependant aimable, brillante, solide, forte a jamais et pouvant s'emplir
de joie et d'amour. Il s'agissait pour vous de laisser couler les jours,
doucement, sans rien brusquer, et le bonheur etait la tout pret a vous
attendre, a vous guetter.
"Pour moi, si je n'ai eu ni parents ni soutien dans mon enfance, en
grandissant j'ai vu s'assombrir mon ciel deja charge, il fallait faire
ma place. Comment? Qu'est-ce qui aide les abandonnes, les solitaires,
les pauvres? Et je n'etais pas humble. Et j'ai toujours repousse les
platitudes avec degout. Et je sentais dans mes arteres la chaleur d'un
sang de sauvage.
"Alors, j'ai considere la vie comme une bataille, bataille contre le
destin le plus injuste, le plus inegal qui soit. J ai donc combattu en
vindicatif que je suis, a coup d'epaule, a coup de poing; c'est une
habitude que j'ai prise d'autant plus facilement qu'elle s'accordait
avec mon temperament, et je n'ai jamais pu l'abandonner; j'en ai ete
l'esclave, meme dans l'amour.
"Je vous aimais; et je m'imaginais que je pouvais etre heureux par cet
amour.
"Mais c'etait une nouvelle lutte, puisque c'etait vous que j'aimais.
Cependant j'en avais assez de cogner en sourd sans jamais rien
recueillir de bon; et il fallait cette fois que ma rage contre le sort
qui m'a toujours sou
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