r. Son premier mouvement fut de retourner en
Angleterre; mais comme elle s'etait jure depuis longtemps de ne rentrer
dans son pays qu'apres avoir recueilli un heritage qui devait la
retablir dans son rang et que la mort maladroite lui faisait encore
attendre, elle trouva qu'il etait plus digne d'obeir a son serment que
de se laisser emporter par l'amour-propre si justement blesse qu'il fut,
et elle se soumit.
Lady Cappadoce n'etait pas la seule avec laquelle M. de Chambrais eut
a prendre des precautions pour sauver les apparences; il avait aussi
a faire accepter ce long voyage par les membres de la famille qui
s'interessaient a Ghislaine et qui auraient pu s'etonner d'une absence
de pres d'un an.
Ce fut a ces visites qu'ils employerent les quelques jours qu'ils
passerent a Paris. Partout l'accueil fut le meme: on felicita le comte
et on complimenta Ghislaine:
--Charmant voyage!
--Etes-vous heureuse, ma chere enfant?
Et Ghislaine dut montrer sa joie et repeter a tous qu'elle etait
heureuse, bien heureuse de ce charmant voyage.
Enfin ils purent partir. Il etait temps. Le sourire que Ghislaine avait
du mettre sur ses levres pour parler des "joies de ce charmant voyage"
etait un supplice. Ce fut seulement quand, en s'eloignant de Paris, elle
put deposer son masque souriant, qu'elle trouva un peu de calme.
Et cependant c'etait le grand saut dans l'inconnu qu'elle faisait.
Que serait cette vie nouvelle si pleine de mysteres dans laquelle elle
entrait? Que durerait-elle? Comment, se terminerait-elle?
Il y avait la un insondable qui lui donnait le vertige lorsqu'elle se
penchait au-dessus avec l'angoisse d'une curiosite ignorante: mere!
enfant! que de questions ces mots suggeraient, sans qu'elle eut personne
pour l'eclairer.
Et c'etait avec un emoi paralysant qu'elle revenait aux arrangements
pris par son oncle. Sans doute, elle devait croire qu'ils etaient dictes
par l'experience de la vie et par la sagesse la plus ferme, et elle le
croyait, n'imaginant pas qu'il y eut de plus honnete homme au monde que
son oncle, de plus droit et de plus delicat que lui, mais malgre tout,
au fond de sa conscience, une voix mysterieuse balbutiait de vagues
protestations, que tout ce qu'elle se disait ne parvenait pas a
etouffer; les meres se sacrifient pour leurs enfants, tandis qu'elle
sacrifiait son enfant a son propre interet, a l'honneur, a l'orgueil de
son nom.
Plus d'une fois, sous l'obsession de cette pensee, el
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