mme.
N'est-il pas possible de rendre cette souffrance moins dure pour toi, ou
tout au moins d'en tromper l'impatience?
Il vit dans le regard qu'elle attachait sur lui qu'elle ne comprenait
pas.
--Tu ne vois pas comment?
--Non.
--En prenant Claude.
Elle poussa un cri.
--N'est-ce pas tout naturel? En realite, cette petite est ta cousine
et par la mort de son pere tu te trouves sa seule parente, sa mere en
quelque sorte. Tu l'as si bien compris, si bien senti que depuis la mort
de M. de Chambrais, d'instinct, malgre toi, mais poussee par une force a
laquelle tu voulais en vain resister, tu as ete cette mere pour elle. En
realite, c'a ete en te defendant, en te cachant, comme si tu faisais
mal et te le reprochais; mais enfin il en a ete ainsi: une vraie mere
n'aurait pas ete meilleure, plus affectueuse, plus prevenante, plus
devouee que tu ne l'as ete; plut a Dieu que tous les enfants en eussent
d'aussi tendres! Eh bien! voyant cela, l'idee m'est venue que tu sois
cette mere, franchement; pour cela il n'y a qu'a prendre l'enfant avec
nous.
--Tu veux!
--Moi aussi je l'ai visitee souvent en ces derniers temps, je l'ai
etudiee: elle est intelligente, affectueuse, et je crois que pour etre
heureuse il ne lui manque que d'etre aimee; toi et moi nous pouvons la
faire heureuse.
Le saisissement avait ete si profond que Ghislaine resta quelque temps
sans trouver un mot: sa fille lui etait rendue; aux yeux de tous, elle
devenait sa fille; elle pouvait l'embrasser sans se cacher; les paroles,
les caresses les plus tendres lui etaient permises; plus de sourdine a
la voix, plus de voile sur les yeux. Elle pouvait l'elever, la former.
Quelle joie pour elle; pour la pauvre abandonnee quel bonheur!
Dans un elan passionne, elle jeta ses bras au cou de son mari, et toute
palpitante elle le serra dans une vive etreinte:
--Oh! cher Elie, que je t'aime; quel coeur que le tien!
Il s'etait penche vers elle, et sur ses levres il mit un long baiser.
Cette caresse la rappela a la realite; elle n'etait pas que mere, elle
etait femme aussi; ce n'etait pas seulement a sa fille qu'elle devait
penser, c'etait encore et avant tout a son mari, a l'homme qui l'aimait
et qu'elle aimait.
Pouvait-elle laisser introduire cet enfant, le sien, sous leur toit;
pouvait-elle lui laisser prendre place dans leur coeur sans tout avouer?
Etait-ce loyal?
Et cet aveu, pouvait-elle le faire, avec la certitude de ne pas briser
le bonheur
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