ligente comme vous l'etes, vous avez du remarquer dans votre
enfance, depuis que vous etes en age de voir et de comprendre, des
choses qui ont du vous frapper.
--Ce qui m'a frappee, c'est quand maman Dagomer m'a dit que je n'etais
pas sa fille, car je croyais que je l'etais, moi, vous comprenez?
--Elle vous a parle de vos parents?
--C'est moi qui lui en ai parle.
--Elle vous a dit?
--Elle m'a dit que je n'avais pas de parents; et comme je pleurais, car
c'est triste de n'avoir pas de parents, vous savez, elle m'a dit que je
ne devais pas me chagriner parce que M. le comte de Chambrais serait un
pere pour moi. Et je suis bien sure qu'il a ete aussi bon pour moi qu'un
vrai pere, le comte de Chambrais, quoiqu'il y eut des moments ou il me
regardait avec des yeux durs, comme si je lui avais deplu, comme s'il
me detestait. Mais j'etais bete de croire ca puisqu'il m'a donne sa
fortune; et quand on donne sa fortune a quelqu'un c'est qu'on l'aime.
--Elle ne vous a jamais parle de votre maman, madame Dagomer?
--Jamais.
--Vous n'avez pas vu venir une dame qui, en vous caressant, en vous
embrassant, vous aurait donne la pensee qu'elle pourrait etre votre
mere?
--Non, jamais je n'ai vu cette dame; il n'y a que madame la comtesse
d'Unieres qui me regarde avec tendresse, oh! si tendrement, et qui
quelquefois me caresse, m'embrasse.
--Mais elle ne vous parle jamais de vos parents, madame d'Unieres?
--Non, jamais. Sans doute qu'elle ne les connait pas.
--Nous verrons cela. Et M. le comte d'Unieres?
--Il est aussi tres bon pour moi.
--Est-ce qu'il vous embrasse?
--Non, mais il me parle tres doucement.
--Est-ce que vous vous rappelez avoir ete dans un autre pays que
Chambrais?
--Non.
--Et en dehors de la famille Dagomer vous n'avez jamais vu d'autres
personnes que M. de Chambrais, le comte et la comtesse d'Unieres vous
temoigner de l'interet?
--Non, pas d'autres.
Tout cela etait clair; elle ne savait que peu de choses sur elle, cette
petite, mais ce peu confirmait ce qu'il avait pressenti: M. de Chambrais
s'etait fait le pere de l'enfant de Ghislaine, et Ghislaine aimait sa
fille.
C'etait la le point essentiel; celui qui devait le guider dans la ligne
qu'il adopterait: mariee a un homme qu'elle aimait, disait-on, elle
etait l'esclave de son amour maternel.
Il eut voulu la questionner encore, mais il etait dangereux de prolonger
cet entretien qui n'avait que trop dure; il ne fallait point
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