'eut ete plus simple que d'ouvrir un
tiroir du bureau et de la mettre dedans. Elle n'osait pas. La glisser
dans sa poche? Elle n'osait pas non plus, s'imaginant que le froissement
du papier allait crier sa honte.
Et la terrible feuille etait devant ses yeux, hypnotisante.
Comme elle allait se remettre a lire, elle sentit que son mari se
tournait vers elle. Alors, elle le regarda; il ne s'etait point leve et
ne paraissait pas dispose a quitter son travail:
--Te rappelles-tu la date de mon discours a propos de l'ordre du jour
Bunou-Bunou.
L'ordre du jour Bunou-Bunou! Dans toute autre circonstance, elle eut
donne la date de jour, de mois, d'annee. Mais en ce moment, comment
reflechir, chercher, se rappeler? Et cependant, elle devait repondre
sans que sa voix trahit son bouleversement.
--A peu pres trois ans, il me semble.
--Trois ans. Dis plutot sept ans. Comment ta memoire si ferme peut-elle
se tromper de tant d'annees?
--Sans doute, je fais une confusion.
--Ne cherche pas, je vais verifier.
Quittant sa table, il passa dans une piece voisine qui servait d'annexe
a la bibliotheque.
Alors elle se jeta sur la lettre, et d'un coup d'oeil la lut, puis
vivement elle la mit dans sa poche.
Il n'etait que temps, le comte rentrait, il vint a elle.
--Je te fais mes excuses, dit-il, tu etais plus pres que moi de la
verite; il y a quatre ans.
Comme elle avait ordinairement le triomphe modeste, il ne s'etonna pas
qu'elle ne repondit point, et tranquillement il retourna a son travail.
Il fallait qu'elle prit un parti, et tout de suite, puisque c'etait pour
le lendemain meme qu'il fixait son rendez-vous.
S'attendant depuis son mariage a le voir surgir d'un moment a l'autre,
elle avait bien des fois examine la question de sa defense, et elle
s'etait toujours dit qu'alors elle devrait avoir recours a cette arme
dont son oncle lui avait parle avant de mourir.
Quelle etait cette arme? Elle ne le savait pas au juste. Une lettre
sans doute qui lui fermerait la bouche s'il voulait parler; mais quelle
qu'elle fut, elle devait etre efficace puisque son oncle lui avait
recommande d'en faire usage; il fallait donc qu'avant tout elle la
reclamat au notaire chez qui elle etait deposee et que tout de suite
elle allat a Paris.
Bien qu'il fut scrupuleusement observe qu'elle restat aupres de son mari
quand il travaillait, elle n'hesita pas; n'etait-ce pas son honneur et
son repos, le bonheur de l'homme qu'elle aimait,
|