le fut sur le point
de se confesser a son oncle; mais comment? Elle qui ne savait rien et
n'etait rien, pouvait-elle se mettre en opposition avec lui? A quel
titre? En appuyant sur quoi?
Elle sentait qu'elle ne devait pas abandonner son enfant, mais le
sentait-elle assez fermement pour avoir la force de resister a son
oncle; et si cette force lui manquait, qu'obtiendrait-elle?
Quand elle s'interrogeait sur ce point, elle etait obligee de convenir
que cet amour des meres pour leurs enfants qui engendre ces sacrifices,
et ces heroismes dont parle la tradition, etait bien faible en elle, si
meme il existait, et que ce qu'elle trouvait dans son coeur comme dans
son esprit, c'etait une sorte d'instinct vague, nullement un sentiment
passionne. L'illusion n'etait pas possible: sa vie serait manquee dans
tout ce qui fait le bonheur de la femme: elle aurait eu un amant, sans
l'amour; elle aurait un enfant sans la maternite.
Le programme trace par M. de Chambrais s'executait regulierement pendant
qu'elle tournait ses tristes pensees, et si absorbantes qu'elles
fussent, elles cedaient cependant aux distractions du voyage.
Enfermee a Chambrais dans son appartement, elle fut toujours revenue au
meme point: la grossesse, l'enfant, la maternite, l'abandon, la honte,
mais le mouvement et le tourbillon du voyage ne pouvaient pas ne pas la
secouer.
A Chambrais, les journees s'enchainant les unes apres les autres eussent
ete eternelles a passer: au Righi ou au Saint-Gothard, elles etaient si
remplies que le soir arrivait sans qu'elle en eut trop conscience.
A Chambrais, les nuits sans sommeil, agitees par la fievre et les
tristes reflexions, eussent ete terriblement longues: a Andermatt ou a
la Furca, la fatigue les faisait courtes.
Les premiers jours, M. de Chambrais avait veille precisement a ce que
Ghislaine ne se fatiguat point, et leurs promenades avaient ete limitees
en consequence. Mais en voyant qu'au lieu de lui etre mauvaises, elles
avaient au contraire une heureuse influence sur son etat general, il les
avait peu a peu allongees.
Pour etre mignonne, Ghislaine n'etait ni faible ni chetive; elevee a
la campagne dans la liberte du plein air, elle n'avait pas besoin de
menagements et de precautions qui eussent ete indispensables a une
Parisienne; elle savait marcher et pouvait supporter le chaud comme
le froid, la pluie comme le soleil; qu'elle fit de l'exercice, elle
mangerait; qu'elle se fatiguat, elle dormirait;
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