ander si ce sourire et
ces sons etaient nes d'une intention, ou s'ils n'etaient pas plutot le
produit d'un mecanisme mysterieux: Claude la voyait, l'entendait, lui
souriait;--elles se comprenaient dans une langue plus eloquente que
celle des savants, celle que la mere,--humaine ou bete, parle a son
enfant et que l'enfant parle a sa mere.
Et a partir de ce jour-la tout le temps qu'on lui permettait de rester
dehors, elle le passa au pied du figuier ou dans la cabane de la
nourrice quand la pluie tombait, sa fille dans ses bras, ayant autour
d'elle les freres et les soeurs de lait de Claude qui jouaient ou
piaillaient.
Quand, a la fin d'avril, son oncle lui annonca que le medecin autorisait
enfin leur depart, elle demeura aneantie.
--Que crains-tu? demanda M. de Chambrais, se meprenant sur la cause de
son emotion.
--Je ne crains rien.
--Je t'assure que tu es aussi fraiche que l'annee derniere a pareille
epoque; a vrai-dire meme, tu es peut-etre en meilleure sante, fortifiee
par ce bon air de la mer; personne en te voyant ne pourra avoir le plus
leger soupcon.
--Si vous trouvez que cet air est si bon, pourquoi partir?
--L'ete va rendre le pays inhabitable: et d'ailleurs une plus longue
absence serait impossible a expliquer, elle n'a que trop dure. Je
comprends que decidement j'ai eu tort de te laisser voir cette petite
tous les jours. Ne me fais pas repentir de ma faiblesse. Si la nourrice
l'avait enlevee le premier jour, comme il etait convenu, tu accepterais
aujourd'hui notre depart sans penser a le retarder.
--C'est vrai; a ce moment, je le trouvais jusqu'a un certain point
naturel, aujourd'hui, il me parait impossible.
--Impossible?
--A ce moment, cette enfant ne representait pour moi qu'un sentiment
confus, aujourd'hui elle est ma fille.
--Dis qu'elle est celle de ce miserable.
--La mienne aussi; et parce qu'elle ne peut pas avoir un pere, faut-il
qu'elle n'ait pas de mere.
--Alors, que veux-tu?
--Je voudrais ne pas l'abandonner.
--Comment?
--Mais en restant pres d'elle, en la gardant avec moi.
--Ici?
--Ici ou ailleurs, peu m'importe, ce n'est pas du pays que j'ai souci.
--Et ta reputation, ton honneur?
--Dois-je sacrifier ma fille a mon honneur, ou mon honneur a ma fille?
C'est la question que je me pose avec de terribles angoisses. Puisque je
suis libre, qui m'empeche de vivre avec elle, quelque part a l'etranger,
sous le nom que vous avez pris en venant dans ce pays;
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