it voulu. Qu'il vint dejeuner a
Chambrais comme il lui en faisait la fete assez souvent, il n'oubliait
jamais l'heure du depart; toujours il avait les meilleures raisons pour
rentrer a Paris, des rendez-vous pris; on l'attendait; une affaire
importante; la prochaine fois il s'arrangerait pour rester plus
longtemps, mais cette prochaine fois n'arrivait jamais: malgre son
affectueuse bonte, il etait oncle comme elle n'etait pour lui qu'une
niece, et non une fille.
Mais fille elle etait devenue le jour ou ils avaient quitte Paris pour
Bruges, et dans la douceur de se sentir enveloppee d'une tendresse
qu'elle avait si longtemps appelee sans la trouver telle qu'elle
l'imaginait, son angoisse nerveuse s'etait fondue: elle n'avait point
doute de lui quand il avait dit que "l'oncle desormais ferait place au
pere", mais ce n'etaient que des paroles qui n'avaient qu'un sens vague
pour son coeur bouleverse, tandis que maintenant ces paroles etaient
realite.
Jusqu'a ce moment la vie de M. de Chambrais s'etait partagee en deux
parts inegales, l'une tout au plaisir, l'autre tout au devoir. Pendant
les treize annees qu'il avait donnees a sa mere aveugle, l'accompagnant
partout, ne la quittant pas du matin au soir, lui faisant la lecture,
l'entretenant, la distrayant, l'occupant, il avait pris des habitudes
de sollicitude, de prevenance, de petits soins qui lui etaient
instantanement revenus aupres de Ghislaine.
Dans ce role l'homme de plaisir eut ete mal place, mais l'homme de
devoir fut tout de suite a son aise; il n'eut qu'a se souvenir.
Cependant ce ne fut pas sans un sentiment de regret qu'il quitta Paris,
et quand dans la gare du Nord, se promenant devant le coupe qu'il avait
fait retenir, il se demanda quand il reviendrait, il eut un mouvement de
contrariete et de melancolie.
--Il ne ferait donc jamais ce qu'il voudrait; toute sa vie il serait
esclave; et quand la liberte lui serait rendue, si jamais elle l'etait,
la vieillesse l'empecherait d'en profiter.
Mais ce souci personnel ne tint pas contre le regard inquiet de
Ghislaine: ce n'etait pas a lui de l'attrister; aussitot il monta pres
d'elle et ne s'occupa plus que de l'installer avec les attentions et les
precautions d'un habitue des voyages.
--Sais-tu, mignonne, dit-il, que notre excursion va etre un plaisir pour
moi?
--Vraiment, vous etes trop bon, mon cher oncle.
--Mais pas du tout, ce que je te dis est sincere. C'est la premiere fois
que tu sors de
|