tenu quand j'ai voulu tenter quelque chose, me
conduisit a une resolution qui devint ma force.
"Les circonstances ont encore domine ma volonte et c'est brutalement,
c'est par surprise que je vous ai avoue mon amour, entraine, pousse
malgre moi.
"Ah! pourquoi m'avoir repousse, pourquoi n'avoir pas permis que je vous
revoie: il ne fallait que cela pourtant: vous voir, vivre pres de vous,
vous aimer respectueusement, pour que je sois celui que je voulais etre.
"Repousse, chasse, votre porte fermee, separe de vous pour toujours,
c'etait une nouvelle lutte plus decisive et plus grave que toutes les
autres: je n'ai pas recule; je l'ai engagee.
"Oui, j'ai ete indigne; oui, j'ai ete criminel, et envers une femme
idolatree; mais je sentais que sans violence vous m'echappiez et que
vous n'aviez meme pas pour moi sympathie ou pitie.
"Maintenant cette pitie, qui serait ma gloire, la ressentirez-vous
jamais?
"Au moins, croyez-le, je ne suis ni vil, ni lache; j'aime et je demande
seulement que vous me laissiez aimer; oubliez; je ne serai plus pour
vous que ce que vous voudrez que je sois. Laissez-moi revenir, reprendre
notre existence d'hier, et je serai heureux; je n'aurai pas d'exigences;
les remords ont etouffe la revolte, et c'est un malheureux repentant
soumis, qui se traine a vos pieds pour implorer son pardon."
--Vous alliez envoyer cette lettre? demanda M. de Chambrais.
--Ce soir meme.
--Je la prends.
Nicetas hesita un moment, pendant que M. de Chambrais, la pliant, la
mettait dans sa poche.
--La lira-t-elle? demanda-t-il.
--Allez-vous aussi a moi proposer un marche? Je n'ai qu'une reponse
a vous faire, c'est vous repeter ce que je vous ai dit: une nouvelle
tentative, et l'on vous tire dessus; vous avouez que vous etes un
sauvage; c'est en sauvage que vous serez traite.
IV
C'etait sur les distractions du voyage, le mouvement, la fatigue que M.
de Chambrais avait compte pour occuper Ghislaine.
Mais ce qui plus que ces distractions, plus que le mouvement, le
changement, le nouveau, la fatigue, occupa Ghislaine et l'arracha a
elle-meme, ce fut la tendresse qu'elle trouva chez son oncle.
Depuis qu'elle etait orpheline, il s'etait montre le meilleur des
parents assurement, bon, prevenant, indulgent, affectueux, mais avec
l'acuite de sentiment d'un coeur inquiet, qui exige tout precisement
parce qu'il n'a rien; elle avait tres bien demele qu'il ne se donnait
pas entierement comme elle l'aura
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