--Je ne sais pas; peut-etre pour lui donner du pain; il n'en
avait plus.
L'HOMME.--Qui vous donne a manger?
L'ENFANT.--Ceux qui veulent bien.
L'HOMME.--Vous en donne-t-on assez?
L'ENFANT.--Quelquefois, pas toujours; mais Paul en a toujours assez.
L'HOMME.--Et toi, tu ne manges donc pas tous les Jours?
L'ENFANT.--Oh! moi, ca ne fait rien, puisque je suis Grand.
L'homme etait bon; il se sentit tres emu de ce devouement fraternel et
se decida a emmener les enfants avec lui jusqu'au village voisin.
"Je trouverai, se dit-il, quelque bonne ame qui les prendra a sa charge,
et quand je reviendrai, nous verrons ce qu'on pourra en faire; le pere
sera peut-etre de retour."
L'HOMME.--Comment t'appelles-tu, mon pauvre petit?
L'ENFANT.--Je m'appelle Jacques; et mon frere, c'est Paul.
L'HOMME.--Eh bien, mon petit Jacques, veux-tu que je t'emmene? J'aurai
soin de toi.
JACQUES.--Et Paul?
L'HOMME.--Paul aussi; je ne voudrais pas le separer d'un si bon frere.
Reveille-le et partons.
JACQUES.--Mais Paul est fatigue; il ne pourra pas marcher aussi vite que
vous.
L'HOMME.--Je le mettrai sur le dos de Capitaine; tu vas voir.
Le voyageur souleva doucement le petit Paul toujours endormi, le placa a
cheval sur le dos du chien en appuyant sa tete sur le cou de Capitaine.
Ensuite il ota sa blouse, qui couvrait sa veste militaire, en enveloppa
le petit comme d'une couverture, et, pour l'empecher de tomber, noua les
manches sous le ventre du chien.
"Tiens, voila ta veste, dit-il a Jacques en la lui rendant; remets-la
sur tes pauvres epaules glacees, et partons."
Jacques se leva, chancela et retomba a terre; de grosses larmes
roulerent de ses yeux; il se sentait faible et glace, et il comprit que
lui non plus ne pourrait pas marcher.
L'HOMME.--Qu'as-tu donc, mon pauvre petit? Pourquoi pleures-tu?
JACQUES.--C'est que je ne peux plus marcher; je n'ai plus de forces.
L'HOMME.--Est-ce que tu te sens malade?
JACQUES.--Non, mais j'ai trop faim, je n'ai pas mange hier; je n'avais
plus qu'un morceau de pain pour Paul. L'homme sentit aussi ses yeux se
mouiller; il tira de son bissac un bon morceau de pain, du fromage et
une gourde de cidre, et presenta a Jacques le pain et le fromage pendant
qu'il debouchait la gourde.
Les yeux de Jacques brillerent: il allait porter le pain a sa bouche
quand un regard jete sur son frere l'arreta:
"Et Paul? dit-il, il n'a rien pour dejeuner; je vais garder cela pour
lui."
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