il faut que vous ayez fait
quelque chose de plus que les autres.
MOUTIER.--Plus, non; mais voila! C'est que j'ai eu la chance de
rapporter au camp un drapeau et un general.
ELFY.--Comment; un general?
MOUTIER.--Oui; un pauvre vieux general russe blesse qui ne pouvait pas
se tirer des cadavres et des debris de Malakoff. J'ai pu le sortir de la
comme le fort venait de sauter, et je l'ai rapporte dans le drapeau que
j'avais pris; en nous en allant, comme j'approchais des notres, une
diable de balle s'est logee dans mon bras; ce n'etait rien; je pouvais
encore marcher, lorsqu'une autre balle me traverse le corps; pour le
coup je suis tombe, me recommandant, moi et mon blesse, a la sainte
Vierge et au bon Dieu; on nous a retrouves; je ne sais ce qu'a dit ce
general quand il a pu parler, mais toujours est-il que j'ai eu la croix
et que j'ai ete porte a l'ordre du jour. C'est le plus beau de mon
affaire; j'avoue que j'ai eu un instant de gloriole, mais ca n'a pas
dure. Dieu merci. MADAME BLIDOT.--Vous etes modeste, monsieur Moutier;
un autre ferait sonner bien haut ce que vous cherchez a amoindrir.
PAUL.--Maman, j'ai faim; je voudrais diner.
MOUTIER, se levant.--C'est moi qui vous ai mis en retard, qui ai mis
le desordre dans votre service. Mam'selle Elfy, me voici pret a vous
servir; j'attends les Ordres.
ELFY.--Je n'ai pas d'ordre a vous donner, monsieur Moutier; laissez-vous
servir par nous, c'est tout ce que je vous demande; Jacques, mets vite
le couvert de ton ami. Jacques ne se le fit pas dire deux fois; en trois
minutes le couvert fut mis. Pendant ce temps, Moutier coupa du pain,
tira du cidre a la cave, versa la soupe dans la soupiere et le ragout de
viande dans un plat. On se mit a table. Jacques demanda a se mettre a
cote de M. Moutier, Paul prit sa place accoutumee pres de son frere.
"Comme te voila grandi, mon ami! dit Moutier en passant amicalement la
main sur la tete de Jacques. Et Paul! le voila grand comme tu l'etais la
premiere fois que je t'ai vu."
ELFY.--Et il est aussi sage que Jacques, ce qui n'est pas peu dire. Il
lit deja couramment, et il commence a ecrire.
MOUTIER.--Et toi, Jacques? Ou en es-tu de tes etudes.
JACQUES.--Oh! moi, je suis plus vieux que Paul. je dois savoir plus que
lui. Je vous ferai voir mes cahiers.
MOUTIER.--Ho! ho, mes cahiers! Tu es donc bien savant?
JACQUES.--Je fais de mon mieux; le maitre d'ecole dit que je fais bien;
je tache toujours.
MOUTIER.--Bon g
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