deux balles, une dans le bras gauche, qui est reste un peu
raide, et une a travers le corps, qui a failli m'emporter et qui m'a
fait reformer. Aussitot gueri, aussitot parti, avec l'idee de faire une
reconnaissance du cote de l'Ange-Gardien. C'est que je n'avais oublie
personne ici, ni les pauvres enfants, ni les bonnes et cheres hotesses.
J'etais sur de trouver un bon accueil; j'ai pense que je pouvais bien
venir pour quelques jours me remettre au service de Mlle Elfy, qui sait
si bien commander."
Moutier sourit en disant ces mots. Mme Blidot rit bien franchement. Elfy
rougit.
ELFY.--Comment, monsieur Moutier! Vous n'avez pas oublie mes niaiseries
d'il y a trois ans? Je suis moins folle que je ne l'etais, et je ne me
permettrais pas de vous commander comme je l'ai fait alors; quand je
n'avais que dix-sept ans.
MOUTIER.--Tant pis, Mam'selle; il faudra que je devine, et je pourrai
faire des sottises, croyant bien faire. Quant a oublier, je n'ai rien
oublie de ce qui regarde le peu de jours que j'ai passes chez vous
en trois temps, pas un mot, pas un geste; tout est reste grave la,
ajouta-t-il en montrant son coeur. Et toi, mon pauvre petit Jacques, tu
m'as eu bientot reconnu; tu n'as pas hesite une minute.
JACQUES.--Comment ne vous aurais-je pas reconnu? J'ai toujours pense
a vous; je vous ai embrasse tous les jours dans mon coeur, et j'ai
toujours prie pour vous; car M. le cure m'a appris a prier, et moi je
l'ai appris a Paul.
MOUTIER.--Et moi aussi, mon garcon, j'ai appris a prier comme je n'avais
jamais fait auparavant; ce qui prouve qu'on apprend a tout age et
partout; c'est un bon pere Parabere, un jesuite, qui m'a montre comment
on vit en bon chretien. Un fameux jesuite, ce pere Parabere! Courageux
comme un zouave, bon et tendre comme une soeur de charite, pieux comme
un saint, infatigable comme un Hercule.
JACQUES.--Ou est-il ce bon pere? Je voudrais bien le voir ou lui ecrire.
MOUTIER, emu.--Parle-lui, mon ami, il t'entendra; car il est pres du bon
Dieu.
"Qu'est-ce que vous avez la?" dit Paul qui etait pres de Moutier et qui
jouait avec sa croix d'honneur.
MOUTIER.--C'est une croix que j'ai gagnee a Malakoff.
ELFY.--Et vous ne nous le disiez pas? Vous l'avez pourtant bien gagnee
certainement.
MOUTIER:--Mon Dieu, Mam'selle, pas plus que mes autres camarades; ils en
ont fait tout autant que moi; seulement ils n'ont pas eu la chance comme
moi.
ELFY.--Mais, pour que vous ayez eu la croix,
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