e tombee sur un mari comme vous! Sapristi que la route est
longue!" Le pauvre gros general trainait la jambe; il n'en pouvait plus.
Il regardait du coin de l'oeil la droite et la gauche de la route, pour
decouvrir un endroit commode pour se reposer; il en apercut un qui
remplissait toutes les conditions voulues; un leger monticule au pied
d'un arbre touffu, pas de pierres, de la mousse et de l'herbe. Moutier
voyait bien la manoeuvre du general, qui tournait, s'arretait,
soupirait, boitait, mais qui n'osait avouer son extreme fatigue. Enfin,
voyant que Moutier ne disait mot et n'avait l'air de s'apercevoir de
rien, il s'arreta: "Mon bon Moutier, dit-il, vous etes en nage, ma
redingote vous assomme, asseyons-nous ici; c'est un bon petit endroit,
fait expres pour vous redonner des forces."
MOUTIER.--Je vous assure, mon general, que je ne suis pas fatigue et que
j'irais du meme pas jusqu'a la fin du jour.
LE GENERAL.--Non, Moutier, non; je vois que vous avez chaud, que vous
etes fatigue.
MOUTIER.--Pour vous prouver que je ne le suis pas, mon general, Je vais
accelerer le pas.
Et Moutier, riant sous cape, prit le pas gymnastique des chasseurs
d'Afrique. Le pauvre general, qui se sentait a bout de force, se mit a
crier, a appeler.
"Moutier! arretez! Comment, diantre, voulez-vous que je vous suive?
Puisque je vous dis que je suis rendu, que je ne puis plus avancer un
pied devant l'autre. Voulez-vous bien revenir... Diable d'homme! il fait
expres de ne pas entendre."
Moutier se retourna enfin, revint au pas de course vers le general et le
trouva assis au pied de cet arbre, sur ce tertre que Moutier refusait.
"Comment, mon, general, vous voila reste? Je croyais que vous me
suiviez."
LE GENERAL, avec humeur.--Comment voulez-vous que je suive un diable
d'homme qui marche comme un cerf? Est-ce que j'ai les allures d'un cerf,
moi? Suis-je taille comme un cerf? Est-ce qu'un homme de mon age, de
ma corpulence, blesse, malade, peut courir pendant des lieues sans
seulement souffler ni se reposer?
MOUTIER.--Mais c'est tout juste ce que je vous disais, mon general; vous
n'avez pas voulu me croire.
LE GENERAL.--Vous me le disiez comme pour me narguer, en vous
redressant de toute votre hauteur et pret a faire des gambades, pour
faire voir a Elfy votre belle taille elancee, votre tournure leste et
pour faire comparaison avec mon gros ventre, ma taille epaisse, mes
lourdes jambes. On a son amour-propre, comme je vous l'
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