-A quel theatre alliez-vous?
LE CONVIVE INSTRUIT.--Au grand theatre de Polichinelle, et a un autre
dont j'oublie le nom, plus beau encore.
LE GENERAL.--Ah! aux Champs-Elysees, n'est-ce pas?
LE CONVIVE INSTRUIT.--Oui, M'sieur, un grand bois mal gouverne, et qui
ne ressemble guere a un champ; des arbres abimes, ecourtes, une futaie
perdue.
Le general riait de plus en plus, buvait de plus en plus. On etait a
table depuis deux heures. Elfy proposa au general une promenade dans son
nouveau domaine.
LE GENERAL, d'un air malin.--Et comment y passerez-vous de votre jardin,
mon enfant?
ELFY.--Oh! general, Moutier fera une breche; le passage sera bientot
fait.
LE GENERAL.--A-t-on fini le cafe, le pousse-cafe, tout enfin?
--Fini a la majorite, mon general, repondit Moutier, fatigue de boire et
de manger.
--Allons, partons. J'ouvre la marche avec Elfy.
Le general se leva; chacun en fit autant. Il ouvrit lui-meme la porte du
jardin. Elfy poussa une exclamation joyeuse, quitta le bras du general
et courut legere comme un oiseau, vers la barriere elegante qui
avait ete placee et ouverte sur le pre pendant la courte absence des
proprietaires.
Jacques et Paul la suivirent dans sa course, et furent bientot hors de
vue.
LE GENERAL.--Moutier, mon ami, courez apres les fuyards, attrapez-les,
ramenez-les-moi! Je ne serai pas loin... Eh bien! voila tout le monde
parti!... Les voila qui courent tous comme des chevaux echappes...
jusqu'au notaire!... Et ce pauvre Derigny, que Mme Blidot entraine! Il
court, ma foi! il court!
Le general, enchante, se frottait les mains, allait et venait en
sautillant malgre ses grosses jambes, son gros ventre et ses larges
epaules. De temps a autre, on voyait apparaitre dans le pre, dans le
bois, Elfy et les enfants; Moutier l'avait rejointe en deux enjambees
et jouissait du bonheur d'Elfy avec toute la vivacite de son affection.
Bientot le bois et la prairie offrirent le spectacle le plus anime; les
jeunes couraient, criaient, riaient; les gens sages se promenaient,
admiraient et se rejouissaient du bonheur d'Elfy d'avoir rencontre dans
sa vie un general Dourakine. Elfy et sa soeur etaient si generalement
aimees que leur heureuse chance ne donnait de jalousie a personne, et
occasionnait, au contraire, une satisfaction generale. Le cure seul
etait reste aupres du general.
"Vous devez etre bien heureux, lui dit-il en souriant amicalement,
de tout le bonheur que vous avez cause; vo
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