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quand nous aurons dine, mon ami; et quand les enfants seront couches. Ils savent cela, eux, il est inutile qu'ils me l'entendent raconter. LE GENERAL.--Et vous, mon cher, comment se fait-il que vous ayez perdu vos enfants, que vous ayez fait la campagne de Crimee, que vous n'ayez pas retrouve ces enfants au retour? Vous n'avez donc ni pere, ni mere, ni personne? DERIGNY.--Ni pere, ni mere, ni frere, ni soeur, mon general. Voici mon histoire, plus triste que longue. J'etais fils unique et orphelin; j'ai ete eleve par la grand-mere de ma femme qui etait orpheline comme moi; la pauvre femme est morte; j'avais tire au sort; j'etais le dernier numero de la reserve: pas de chance d'etre appele. Madeleine et moi, nous restions seuls au monde, je l'aimais, elle m'aimait; nous nous sommes maries; j'avais vingt et un ans; elle en avait seize. Nous vivions heureux, je gagnais de bonnes journees comme mecanicien-menuisier. Nous avions ces deux enfants qui completaient notre bonheur; Jacquot etait si bon que nous en pleurions quelquefois, ma femme et moi. Mais voila-t-il pas, au milieu de notre bonheur, qu'il court des bruits de guerre; j'apprends qu'on appelle la reserve; ma pauvre Madeleine se desole, pleure jour et nuit; moi parti, je la voyais deja dans la misere avec nos deux cherubins; sa sante s'altere; Je recois ma feuille de route pour rejoindre le regiment dans un mois. Le chagrin de Madeleine me rend fou; je perds la tete; nous vendons notre mobilier et nous partons pour echapper au service; je n'avais plus que six mois a faire pour finir mon temps et etre exempt. Nous allons toujours, tantot a pied, tantot en carriole; nous arrivons dans un joli endroit a vingt lieues d'ici; je loue une maison isolee ou nous vivions caches dans une demi-misere, car nous menagions nos fonds, n'osant pas demander de l'ouvrage de peur d'etre pris: ma femme devient de plus en plus malade; elle meurt (la voix de Derigny tremblait en prononcant ces mots); elle meurt, me laissant ces deux pauvres petits a soigner et a nourrir. Pendant notre sejour dans cette maison, tout en evitant d'etre connus, nous avions pourtant toujours ete a la messe et aux offices les dimanches et fetes; la paleur de ma femme, la gentillesse des enfants attiraient l'attention; quand elle fut plus mal, elle demanda M. le cure qui vint la voir plusieurs fois, et, lorsque je la perdis, il fallut faire ma declaration a la mairie et donner mon nom; trois semaines apres,
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