'est que, peu de jours
apres la visite du notaire, une foule d'ouvriers de Domfront vinrent
s'etablir a l'auberge Bournier; ils travaillerent avec une telle ardeur
qu'en huit jours ils y firent un changement complet. Le devant etait
uni, sable et borde d'un trottoir; un joli perron en pierre remplacait
les marches en briques demi-brisees qui s'y trouvaient jadis. Les
croisees a petits carreaux sombres et sales furent remplacees par de
belles croisees a grands carreaux. Toute la maison fut reparee et
repeinte; la cour, agrandie et nettoyee; les ecuries, la porcherie, le
bucher, la buanderie, les caves, les greniers aeres et arranges. Des
voitures de meubles et objets necessaires a une auberge arrivaient tous
les soirs; mais personne ne voyait ce qu'elles contenaient, car on
attendait la nuit pour les decharger et tout mettre en place. De jour,
les ouvriers defendaient les approches de la maison.
Il en etait de meme dans les pres et les bois qui bordaient la propriete
de l'Ange-Gardien. Une multitude d'ouvriers y tracaient des chemins, y
etablissaient des bancs, y mettaient des corbeilles de fleurs,
jetaient des ponts sur la riviere, en regularisaient les bords; ils
construisirent en vue de l'Ange-Gardien un petit embarcadere couvert,
auquel on attacha par une chaine un joli bateau de promenade. Chaque
jour donnait un nouveau charme a ce petit bien convoite par Elfy et
Moutier, et chaque jour augmentait leur desappointement. Il etait
evident que ce bien avait ete achete recemment; le nouveau proprietaire
voudrait probablement batir une habitation pour jouir des travaux qui
rendaient l'emplacement si joli.
"Chere Elfy, disait Moutier, ne desirons pas plus que nous n'avons; ne
sommes-nous pas tres heureux avec ce que nous a deja donne le bon Dieu?
D'ailleurs, pour moi, le bonheur en ce monde, c'est vous; le reste est
peu de chose. Il ne sert qu'a embellir mon bonheur, comme une jolie
toilette vous embellira le jour de notre mariage."
ELFY.--Vous avez raison, mon ami; aussi donnerais-je tous les pres
et tous les bois du monde pour vous conserver pres de moi. Je trouve
seulement contrariant de n'avoir pu acheter tout cela et de nous en voir
prives pour toujours, faute d'y avoir pense plus tot.
-C'est tout juste ce que je pensais, mes pauvres amis, dit le general
d'une voix douce... (Il rentrait par le jardin apres avoir examine les
travaux qui marchaient avec une rapidite extraordinaire.) Il n'y aurait
que la haie de
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