ce matin, monsieur le cure, et voila que je viens vous
proposer une bonne oeuvre.
LE CURE.--Tres bien, monsieur Moutier, disposez de moi, Je vous prie.
MOUTIER.--Monsieur le cure, c'est qu'il s'agit de donner pour un temps
le logement et la nourriture a ce pauvre petit que voila.
Moutier presenta Torchonnet tremblant.
LE CURE.--Son maitre lui a donc rendu la liberte? C'est la seule bonne
oeuvre qu'il ait faite a ma connaissance. Cet enfant a bien besoin
d'etre instruit. Il y a longtemps que j'aurais voulu l'avoir, mais il
n'y avait pas moyen de l'approcher.
Le cure voulut prendre la main de Torchonnet qui la retira en poussant
un cri.
"Eh bien! qu'y a-t-il donc?" dit le cure surpris.
MOUTIER.--Il y a, monsieur le cure, que ce nigaud se figure que vous
allez le devorer a belles dents. C'est son diable d'aubergiste qui lui a
fait cette sotte histoire pour l'empecher d'avoir recours a vous.
--Mon pauvre garcon, dit le cure en riant, sois bien tranquille, je me
nourris mieux que cela; tu serais un mauvais morceau a manger. Tous les
enfants du village viennent chez moi, et je n'en ai mange aucun, pas
meme les plus gras; demande plutot a Jacques.
JACQUES.--C'est ce que je lui ai deja dit, monsieur le cure, quand il
nous a dit cette drole de chose. Tiens, vois-tu, Torchonnet? Je n'ai pas
peur de M. le cure.
Et Jacques, prenant les mains du cure, les baisa a plusieurs reprises.
Torchonnet ne le quittait pas des yeux; il avait encore l'air effraye,
mais il ne cherchait plus a se Sauver.
LE CURE.--Il s'agit donc de garder cet enfant un bout de temps, monsieur
Moutier? Mais comment son maitre va-t-il prendre la chose?
Moutier lui raconta les evenements qui venaient de se passer. Le cure
accepta la charge de cet enfant abandonne. Il appela sa servante, lui
remit Torchonnet en lui recommandant de le faire souper et de lui
arranger un lit dans un cabinet quelconque.
"A present, dit-il, je vais aller faire une visite aux blesses pour
tacher de les ramener a de meilleurs sentiments. A demain, mon bon
monsieur Moutier; j'irai vous voir a l'Ange-Gardien."
Et le cure sortit avec Moutier et Jacques. Les deux derniers
traverserent la rue pour rentrer chez eux. Ils trouverent Mme Blidot et
Elfy qui les attendaient avec impatience.
"Viens vite te coucher, mon Jacquot, dit Mme Blidot; Paul dort deja."
--Adieu maman, adieu ma tante, adieu mon bon ami, dit Jacques en les
embrassant tous affectueusement.
MAD
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