musent sans rien deranger?
-Par ici, au jardin, mes enfants, dit l'hotesse en ouvrant une porte de
derriere. Voici au bout de l'allee un baquet plein d'eau et un pot a
cote, vous pourrez vous amuser a arroser les legumes et les fleurs.
JACQUES.--Puis-je me servir de l'eau qui est dans le baquet pour laver
Paul et me laver aussi, Madame?
L'HOTESSE.--Certainement, mon petit garcon; mais prends garde de te
mouiller les jambes.
Jacques et Paul disparurent dans le jardin; on les entendait rire et
jacasser. Moutier mangeait lentement et reflechissait. L'hotesse avait
pris une chaise et s'etait placee en face de lui, attendant qu'il eut
fini pour enlever le couvert. Quand Moutier eut avale sa derniere goutte
de cafe et d'eau-de-vie, il leva les yeux, vit l'hotesse, sourit, et,
s'accoudant sur la table:
"Vous attendez l'histoire que je vous ai promise, dit-il; la voici: elle
n'est pas longue, et vous m'aiderez peut-etre a la finir."
Il lui fit le recit de sa rencontre avec les enfants; sa voix tremblait
d'emotion en redisant les paroles de Jacques et en racontant les soins
qu'il avait eus de son petit frere, son devouement, sa tendresse pour
lui, le courage qu'il avait deploye dans leur abandon et sa touchante
confiance en la sainte Vierge.
"Et a present que vous en savez aussi long que moi, ma bonne dame,
aidez-moi a sortir d'embarras. Que puis-je faire de ces enfants? Les
abandonner? Je n'en ai pas le courage; ce serait rejeter une charge que
je puis porter, au total, et refuser le present que me fait le bon Dieu.
Mais j'ai une longue route a faire: je quitte mon regiment et je rentre
au pays. C'est que je n'y suis pas encore; j'ai a faire quatre etapes
de sept a huit lieues. Et comment trainer ces enfants si jeunes, par la
pluie, la boue, le vent? Et puis, je suis garcon; je ne suis pas chez
moi; personne pour les garder. Mon frere est aubergiste, comme vous, et
n'a que faire de moi; mon pere et ma pere sont depuis longtemps pres du
bon Dieu, mes soeurs sont mariees et elles ont assez des leurs, sans y
ajouter des pauvres petits sans pere ni mere, et sans argent. Voyons,
ma bonne hotesse, vous m'avez l'air d'une brave femme... Dites,... que
feriez-vous a ma place?"
L'HOTESSE.--Ce que je ferais?... ce que je ferais?... Parole d'honneur, je
n'en sais rien.
MOUTIER.--Mais ce n'est pas un conseil, cela. Ca ne decide rien.
L'HOTESSE.--Que voulez-vous que je vous dise?... D'abord, je ne les
laisserais certain
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