ement pas vaguer a L'aventure.
MOUTIER.--C'est bien ce que je me suis dit.
L'HOTESSE.--Je ne les donnerais pas au premier venu.
MOUTIER.--C'est bien mon idee.
L'HOTESSE.--Je ne les emmenerais pas a pied si loin.
MOUTIER.--C'est ce que je disais.
L'HOTESSE.--Alors... je ne vois qu'un moyen... Mais vous ne voudrez pas.
MOUTIER.--Peut-etre que si. Dites toujours.
L'HOTESSE.--C'est de me les laisser.
Moutier regarda l'hotesse avec une surprise qui lui fit baisser les yeux
et qui la fit rougir comme si elle avait dit une sottise.
"Je savais bien, dit-elle avec embarras, que vous ne voudriez pas. Vous
ne me connaissez pas. Vous vous dites que je ne suis peut-etre pas la
bonne femme que je parais; que je rendrais les enfants malheureux; que
vous les auriez sur la conscience et que sais-je encore?"
--Non, ma bonne hotesse, je ne dirais ni ne penserais rien de tout cela.
Seulement,... seulement,... je ne sais comment dire,... je vous suis
oblige, reconnaissant, mais, vrai, je ne vous connais pas beaucoup...
et..., et...
--L'HOTESSE.--Vous pouvez bien dire que vous ne me connaissez pas du
tout; mais vous n'en pourrez pas dire autant si vous voulez aller
prendre des informations sur la femme BLIDOT, aubergiste de
l'ANGE-GARDIEN. Allez chez M. le cure, chez le boucher, le charron, le
marechal, le maitre d'ecole, le boulanger, l'epicier, et bien d'autres
encore: ils vous diront tous que je ne suis pas une mechante femme. Je
suis veuve; j'ai vingt-six ans; je n'ai pas d'enfants, je suis seule
avec ma soeur qui a dix-sept ans; nous gagnons notre vie sans trop de
mal; nous ne manquons de rien; nous faisons meme de petites economies
que nous placons tous les ans; il me manque des enfants; en voila deux
tout trouves. Je ne vous demande rien, moi, pour les garder; je n'en
fais pas une affaire. Seulement, je sais que je les aimerai, que je ne
les rendrai point malheureux et que vous aurez la conscience tranquille
a leur egard.
Moutier se leva, serra les mains a l'hotesse dans les siennes et la
regarda avec une affectueuse reconnaissance.
"Merci, dit-il d'un accent penetre. Ou demeure votre cure?"
--Ici, en face; voici le jardin du presbytere; poussez la porte et vous y
etes.
Moutier prit son kepi et alla voir le cure pour lui parler de Mme Blidot
et lui demander un bon conseil. Il faut croire que les renseignements
ne furent pas mauvais, car Moutier revint un quart d'heure apres, l'air
calme et Joyeux.
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