passa sur la route, accompagne d'un beau chien, de l'espece des chiens
du mont Saint-Bernard. L'homme avait toute l'apparence d'un militaire;
il marchait en sifflant, ne regardant ni a droite ni a gauche; le chien
suivait pas a pas. En s'approchant des enfants qui dormaient sous le
chene, au bord du chemin, le chien leva le nez, dressa les oreilles,
quitta son maitre: et s'elanca vers l'arbre, sans aboyer. Il regarda les
enfants, les flaira, leur lecha les mains et poussa un leger hurlement
comme pour appeler son maitre sans eveiller les dormeurs. L'homme
s'arreta, se retourna et appela son chien: "Capitaine! ici, Capitaine!"
Capitaine resta immobile; il poussa un second hurlement plus prolonge et
plus fort.
Le voyageur, devinant qu'il fallait porter secours a quelqu'un,
s'approcha de son chien et vit avec surprise ces deux enfants
abandonnes. Leur immobilite lui fit craindre qu'ils ne fussent morts;
mais, en se baissant vers eux, il vit qu'ils respiraient; il toucha les
mains et les joues du petit: elles n'etaient pas tres froides; celles
du plus grand etaient completement glacees; quelques gouttes de pluie
avaient penetre a travers les feuilles de l'arbre et tombaient sur ses
epaules couvertes seulement de sa chemise.
"Pauvres enfants! dit l'homme a mi-voix, ils vont perir de froid et de
faim, car je ne vois rien pres d'eux, ni paquets ni provisions. Comment
a-t-on laisse de pauvres petits etres si jeunes, seuls, sur une grande
route? Que faire? Les laisser ici, c'est vouloir leur mort. Les emmener?
J'ai loin a aller et je suis a pied; ils ne pourraient me suivre."
Pendant que l'homme reflechissait, le chien s'impatientait: il
commencait a aboyer; ce bruit reveilla le frere aine; il ouvrit les
yeux, regarda le voyageur d'un air etonne et suppliant, puis le chien,
qu'il caressa, en lui Disant:
"Oh! tais-toi, tais-toi, je t'en prie; ne fais pas de bruit, n'eveille
pas le pauvre Paul qui dort et qui ne souffre pas. Je l'ai bien couvert,
tu vois; il a bien chaud."
--Et toi, mon pauvre petit, dit l'homme, tu as bien Froid!
L'ENFANT.--Moi, ca ne fait rien; je suis grand, je suis fort; mais lui,
il est petit; il pleure quand il a froid, quand il a faim.
L'HOMME.--Pourquoi etes-vous ici tous les deux?
L'ENFANT.--Parce que maman est morte et que papa a ete pris par les
gendarmes, et nous n'avons plus de maison et nous sommes tout seuls.
L'HOMME.--Pourquoi les gendarmes ont-ils emmene ton papa?
L'ENFANT.
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