Ainsi allait, desormais prudent, modere et delicieusement perfide,
l'ancien auteur de l'_ile de Borneo_, satire par allegorie du
catholicisme, dont Bayle avait fait un ornement de son journal[15], mais
qui avait eu un succes un peu trop bruyant pour les oreilles sensibles
de Fontenelle.--Aussi bien la science commencait a l'attirer pour
elle-meme, et sans cesser d'y voir une arme excellente contre le
christianisme et l'antiquite, instrument a les detruire et pretexte
a les mepriser, il s'y donnait deja d'une ardeur vraie, certainement
sincere et presque desinteressee. Fontenelle a commence par des operas
comiques et continue par des pamphlets. La _Pluralite des Mondes_ est un
ouvrage de savant, ou il n'y a plus que des traces de pamphlet et des
souvenirs d'opera comique. On y sent encore une legere demangeaison
d'embarrasser les theologiens, et une certaine vanite a se montrer
recherche des belles. Il insiste complaisamment sur les "hommes dans la
lune", ce dont peuvent s'alarmer les catholiques, et il nous fait de
tout son coeur les honneurs de la marquise qui est censee l'ecouter.
Pour les habitants de la lune, il n'y a rien a dire: il se defend trop
bien d'en faire une armee a attaquer la foi. "Il serait embarrassant en
theologie qu'il y eut des hommes qui ne descendissent point d'Adam...;
mais je ne mets dans la Lune que des habitants qui ne sont point des
hommes... Je n'attends donc plus cette objection que des gens qui
parleront de ces Entretiens sans les avoir lus. Est-ce un sujet de me
rassurer? C'en est un au contraire de craindre que l'objection ne me
vienne de bien des endroits[16]."--Pour sa marquise, il faut confesser
qu'elle est bien incommode. Elle a de l'esprit sans doute: "... Vous
voyez, Madame, que la Geometrie est fille de l'interet, la Poesie de
l'amour, et l'Astronomie de l'oisivete.--En ce cas, je vois bien qu'il
faut que je m'en tienne a l'astronomie." Mais le role que lui a menage
Fontenelle est bien desobligeant. Sous pretexte de donner une suite
naturelle aux raisonnements, elle ne sert qu'a les interrompre a tout
moment, et a les faire languir. Elle comprend ou ne comprend pas, trop
visiblement, selon qu'il y a longtemps ou peu de temps qu'elle n'a
parle, et selon que Fontenelle sent ou ne sent point le besoin de nous
rappeler sa presence. J'aimerais mieux les naifs [Grec: panu ge ] ou
[Grec: pos dhou] des interlocuteurs de Socrate, qui au moins ne sont
que des signes de ponctuation.--Et puis c
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