our et ses serments, il paraissait bien
certain que cette coquette de village avait manoeuvre entre Arthur Burn
et Gaston de facon a les menager egalement, ecrivant tres probablement a
celui-ci les memes lettres qu'a celui-la, sans savoir au juste lequel
des deux etait le plus "idole de son coeur", a moins qu'ils ne le
fussent ni l'un ni l'autre.
S'il en etait ainsi, et tout semblait l'indiquer, on comprenait par
quelles incertitudes, Gaston, passionnement epris de cette femme, avait
passe et quels avaient ete ses soupcons; mais, si toute sa vie il
s'etait debattu contre l'obsession du doute, lui qui mieux que tout
autre etait en situation de trancher la question de paternite,
n'etait-ce pas folie de s'imaginer qu'apres trente ans passes on verrait
clair la ou il s'etait perdu dans l'obscurite, n'ayant pour se guider
que ces lettres? Quand on les relirait cent fois comme Gaston les avait
lues, elles ne livreraient pas plus leur secret que trente ans
auparavant: des inductions, des hypotheses, elles les permettaient
toutes; des certitudes, elles n'en fourniraient aucune, si les dernieres
n'etaient pas plus precises que celles-la.
Elles ne l'etaient point: partout Leontine se defendait contre la
jalousie de Gaston par de vagues protestations; nulle part elle ne
prenait corps a corps un des griefs, auxquels elle repondait: "Je
t'aime, compte la-dessus"; et c'etait toujours le morne refrain.
Apres la liasse de la mere, il passa a celle du fils, beaucoup plus
volumineuse. Parcourant seulement les premieres lettres, ecrites d'une
ecriture enfantine, il ne commenca une lecture serieuse qu'avec celles
ou l'enfant devenait jeune homme, et tout de suite il put constater que
si, au lieu de vouloir eclaircir une question de paternite, c'etait une
question de maternite, il n'admettrait jamais que ce garcon, simple et
droit, au coeur tendre, mais discret et reserve dans ses expansions,
pouvait etre le fils de cette coquette, dont chaque mot criait la
tromperie. Tel se montrait le collegien, tel etait le soldat, avec
seulement en plus la fermete et le serieux que donne l'age, mais si
franchement, que, dans cette confession qui sans interruption se
continuait de la dix-huitieme a la trentieme annee, on voyait comme si
on l'avait suivi jour par jour l'eveil de son esprit et de ses idees, la
formation de son caractere et de ses sentiments, l'ouverture de son
jeune coeur au reve d'abord, plus tard a la pensee, plus tard encore a
la
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