Bayonne.
Cette installation au chateau fut un nouveau sujet de discussion entre
le mari et la femme, car, fidele a son idee de restitution, Barincq
voulait abandonner son propre appartement, c'est-a-dire celui de Gaston,
a Sixte et a Anie; mais madame Barincq n'accepta pas cet arrangement ou
plutot ce derangement.
--Ne sommes-nous plus rien chez nous? dit-elle indignee.
--A notre age.
Cette fois ce ne fut pas du cote de son pere que la fille se rangea, et
il dut ceder a leurs volontes: ce serait au second etage qu'il voulait
prendre pour lui qu'on leur amenagerait cet appartement; et, ne pouvant
pas leur donner les pieces qu'il desirait, il se rattrapa sur le
mobilier en choisissant dans le chateau pour le placer chez eux tout ce
qui avait une valeur artistique quelconque ou l'interet d'un souvenir;
dans le cabinet de travail de Sixte, le portrait et le bureau de Gaston;
dans celui d'Anie, un magnifique tapis de fabrication arabe, haute
laine, a dessins riches de couleurs, de ceux que les antiquaires
appellent _tapis de Mascara_, et un cabinet a deux corps a quatre
vantaux en bois de noyer sculpte datant de Henri II dans lequel il avait
range une collection de livres de choix aux plus jolies reliures; enfin,
dans la chambre a coucher, des tentures en soie brodee, appliquee et
rehaussee d'or et d'argent, representant Henri IV en Apollon, et un
grand lit a baldaquin du dix-septieme siecle avec pentes, courtines et
plafond en velours cisele de Genes.
Comme Anie et Sixte se defendaient qu'il depouillat ainsi le chateau
tout entier pour orner leur appartement de ce qui, pendant une longue
suite d'annees, avait ete accumule par les heritages de famille, il leur
dut avouer dans quel but il se donnait tant de peine:
--Je veux vous organiser un nid qui soit un reliquaire pour vos
souvenirs, digne de vous, de votre jeunesse, de votre tendresse. Comme
les fonctions de Sixte, et surtout les exigences du general ne vous
permettent pas un voyage de noces--ce dont, a vrai dire, je ne suis pas
fache, car ces voyages, sous pretexte d'eloignement et d'isolement, ne
sont en realite que des occasions de promiscuite genante ou blessante,
dans lesquelles on eparpille ses souvenirs sans jamais pouvoir mettre la
main dessus plus tard, quand il serait bon de se retremper
dedans--j'estime que le jour de votre mariage doit se passer tout entier
ici, et s'achever dans cet appartement, que je vous arrange a cette
intention. Je sais bie
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