qu'elle ne put
pas etre certaine qu'elle ne se trompait pas; une flamme claire refletee
par le miroir vint jusque dans sa chambre, dont elle perca l'obscurite
pour deux ou trois secondes, et ce fut tout.
Presque aussitot il entrait et venait a elle: ce fut miracle qu'elle ne
se trahit pas quand il l'embrassa, et qu'elle ne se jetat pas eperdue
dans ses bras quand il prit place pres d'elle.
XI
Deja les bruits de la ville et du port commencaient confus dans le
lointain, quand, brise et aneanti par les emotions, il s'etait endormi
sur l'epaule d'Anie.
Pendant plus d'une heure, elle etait restee immobile, pour ne pas
troubler ce lourd sommeil, si poignante que fut son angoisse de savoir
ce qu'etait le papier place dans le buvard, a propos duquel son
imagination affolee envisageait les choses les plus terribles, n'osant
pas s'arreter a celle-ci plutot qu'a celle-la, mais n'osant pas
davantage en rejeter aucune. Qu'elle put se lever avant lui, elle
verrait ce papier. Qu'au contraire il se levat le premier, elle
resterait en proie a son anxiete.
Cependant les vitres des fenetres blanchissaient du cote de l'est, le
ciel se rayait de bandes claires qui annoncaient l'approche du jour:
encore quelques instants, et l'habitude allait le tirer de son sommeil a
l'heure ordinaire.
Il fit un mouvement; elle crut qu'il s'eveillait, mais il abandonna
seulement son epaule, et alors, avec precaution, elle put se laisser
glisser a bas du lit.
A pas etouffes, elle se dirigea vers le cabinet, dont la porte n'avait
pas ete refermee, et elle put la gagner sans qu'il bougeat. Vivement
elle alla au bureau et prit la lettre dans le buvard. Mais le jour
n'etant pas assez avance pour qu'elle en put lire la suscription, elle
courut a la fenetre, dont elle ecarta le rideau.
"Anie."
Elle ne s'etait pas trompee: fremissant de la tete aux pieds sous la
main froide du malheur qui venait de la saisir, elle coupa l'enveloppe
avec une epingle qu'elle tira de ses cheveux.
Elle poussa un cri, et, traversant en courant le cabinet ainsi que la
chambre, elle vint au lit ou elle s'abattit sur son mari qu'elle
enveloppa de ses deux bras:
--Mourir!
Il la regarda hebete, puis, voyant la lettre qu'elle tenait dans sa
main:
--Tu as lu?
--Est-ce que je dormais?
--Puisque tu as lu, je n'ai rien a ajouter.
--Tu es fou.
--Helas!
--Mais cette fortune, tout ce que nous possedons, c'est a toi.
--J'ai brule le testament.
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