longtemps cote a cote sans echanger un seul mot.
--Quel homme! dit tout a coup le notaire.
--Et il aurait pu etre le mari de ma fille! Si coupable que soit le
malheureux Sixte, au moins a-t-il du coeur.
Ils arrivaient au chemin de fer.
--C'est egal, dit Barincq, pour un homme qui toute sa vie n'a pense
qu'au bonheur des siens, j'ai bien mal fait leurs affaires et les
miennes.
--Et maintenant?
--Maintenant, il ne nous reste qu'a vendre Ourteau.
--Mais a cette saison, dans ces conditions, ce sera un desastre.
--Eh bien, ce sera un desastre.
--Mon pauvre ami!
--Oui, le sacrifice sera dur; j'aimais cette terre d'un amour de
vieillard, j'avais mis sur elle mes derniers espoirs; mais je dois me
dire qu'en realite je n'en ai jamais ete proprietaire, et que, si le
testament avait ete produit en temps, tout cela ne serait pas arrive: je
ne me serais pas installe a Ourteau, je n'aurais pas entrepris ces
travaux; M. d'Arjuzanx n'aurait pas pense a me demander Anie; Sixte ne
l'aurait pas epousee, et, aujourd'hui, je ne tomberais pas lourdement
d'une position fortunee dans la misere.
XII
La demie apres six heures allait sonner au cartel des bureaux de
l'_Office cosmopolitain_, et Barnabe, dans l'embrasure d'une fenetre,
guettait au loin sur le boulevard l'arrivee de l'omnibus du chemin de
fer de Vincennes.
A ce moment le directeur, M. Chaberton, sortit de son cabinet,
accompagne d'un client, et dans leurs cages, derriere leurs grillages,
tous les employes se plongerent instantanement dans le travail.
--Barnabe, guettez l'omnibus, dit M. Chaberton.
--On ne le voit pas encore.
--Puisque nous avons quelques minutes, dit le client suppliant,
laissez-moi vous expliquer...
Mais M. Chaberton, sans ecouter, alla a l'un des grillages:
--Monsieur Spring, que vos patentes anglaises pour l'affaire Roux soient
pretes demain matin, dit-il.
--Elles le seront, monsieur.
Il s'adressa a un autre guichet:
--Monsieur Morisset, vous preparerez demain, en arrivant, un etat des
frais Ardant.
--Oui, monsieur.
--Un point tres important a noter, continuait le client...
Mais M. Chaberton, qui n'avait pas d'oreilles pour ces recommandations
de la derniere heure, continuait sa tournee devant les cages de ses
employes.
--Monsieur Barincq, dit-il, votre bois est-il termine?
--Il le sera dans une demi-heure.
--Pas trop de secheresse, je vous prie, du chic, soyons dans le
mouvement.
Barnabe
|