n autre qui fut de notre temps; car c'est une necessite
pour un romancier qui marche avec son epoque et veut se renouveler, se
completer, de ne point s'en tenir, dans son age mur, aux personnages de
sa jeunesse, qu'il a pu peindre vrais a ce moment, mais qui ne le sont
plus par cela seul que les moeurs se sont transformees.
Je cherchais mon savant nouvelle maniere, lorsqu'un jour, en me rendant
au laboratoire de mon camarade Georges Pouchet, je vis dans une cour des
palefreniers et des cochers occupes a panser des chevaux et a nettoyer
des voitures qui, par leur elegance, etaient si peu en situation dans
ce quartier que, tout en bavardant avec Pouchet, je lui demandai a qui
appartenaient ces equipages.
--A Sauval.
--Le professeur?
--Lui-meme.
J'eus le pressentiment que je pouvais trouver en lui quelques-uns des
traits principaux qu'il me fallait pour mon personnage. Je l'etudiai et
l'introduisis dans _Anie_. Un critique, parlant de Sauval, dit que ce
type est plus commun qu'on ne pense, et, faisant allusion a celui de la
realite, il ajouta: "J'ai pris mes informations sur les personnes, je le
connais meme personnellement depuis ma lecture d'_Anie_, et il
paraitrait,--ma conviction est faite,--que justement il ne rentrerait
pas dans la categorie precitee, et que ce savant serait au contraire un
lutteur, un genereux et un prodigue."
Que le Sauval de mon roman ne soit pas la reproduction exacte et fidele
du vrai Sauval, cela est parfaitement juste; je suis le premier a le
reconnaitre, et meme je suis satisfait que cela ait ete dit. Je me suis
deja plus d'une fois explique la-dessus dans ces notices: je fais des
romans, non des photographies; et quand j'etudie un personnage rencontre
dans la vie courante, ce n'est point la verite du portrait que je
recherche, c'est celle du roman, agissant en cela comme le peintre ou le
statuaire qui travaille d'apres le modele vivant, non pour le copier,
mais pour s'en inspirer. Sauval m'a fourni des traits du savant dans le
train; je ne l'ai pas copie, pas plus que dans aucun de mes romans je
n'ai copie ou photographie un seul des acteurs que j'ai mis en scene. Il
y a une verite d'art, plus haute et plus vraie que celle de la realite.
C'est celle-la que j'ai poursuivie. "Ce n'est pas avec sa femme qu'on
fait une Jeanne d'Arc", me disait un jour Chapu; et cependant, pour
toutes les Jeanne d'Arc, il y a eu la pose d'un modele vivant.
H. M.
End of the Project
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