--Que ce soit toi, que ce soit nous, qu'importe qui paye ta dette!
--Ton pere ne doit rien.
--Tu ne le connais pas; mon pere paiera comme tu paierais toi-meme: ta
mort n'acquitterait rien; et, quand meme elle te libererait, crois-tu
que nous voudrions de la fortune a ce prix?
--Je ne veux pas ruiner ton pere, te ruiner toi-meme.
--Mais comprends donc que nous paierons: tu dois, nous devons; cette
fortune est la tienne, non la notre; et fut-elle a nous qu'il en serait
exactement de meme. Tu dis que tu as reflechi! Mais non, tu n'as pas
reflechi; sous un coup de desespoir tu as perdu la tete. Est-ce que nous
pouvons avoir rien de plus precieux que ta vie? Imagines-tu donc que si
tu mourais je ne mourrais pas avec toi, o mon bien-aime!
Tout en parlant avec une vehemence desordonnee, elle le pressait dans
ses bras, ne s'interrompant que pour l'embrasser passionnement.
--Tu dis que tu m'aimes, reprit-elle; mais est-ce m'aimer que vouloir
m'abandonner? Est-ce que tout n'est pas preferable a la separation, la
ruine, la misere! Qu'importe la misere! Est-ce que je ne la connais pas?
Que serait ce repos dont tu parles? Tu ne veux pas que je sois amoindrie
par la faute de mon mari coupable? En quoi serai-je amoindrie quand nous
aurons paye ce que tu as perdu?
Cet elan le bouleversait, l'ebranlait.
--Je ne peux rien demander a ton pere, dit-il.
--Toi non, mais moi. Je pars pour Ourteau. Dans cinq heures je suis de
retour avec mon pere. Ce soir tu paies.
--Ou veux-tu que ton pere trouve cette somme?
--Je n'en sais rien, il la trouvera; il empruntera; il vendra.
--Sa terre qu'il aime tant!
--Sa terre n'a jamais ete a lui; elle est a toi.
--Votre generosite, votre sacrifice, ne feraient-ils pas de moi le plus
miserable des hommes? Quel personnage serais-je dans le monde?
A ce mot, elle reprit courage et respira: puisqu'il envisageait
l'avenir, c'est qu'il etait touche.
--Personne a-t-il ete jamais deshonore pour une dette de jeu qu'on paie?
Si ton honneur est sauf, qu'importe le reste! Pourvu que nous soyons
ensemble, tous les pays nous seront bons.
Le temps pressait; il fallait hater les decisions: ce qui n'etait
possible avec une conscience chancelante et devoyee que si elle prenait
la direction de leur vie.
--Je pars pour Ourteau, dit-elle, toi tu vas aller a ton bureau comme a
l'ordinaire et en arrivant tu confesseras la verite au general: dans une
heure elle sera connue de toute la ville,
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