etait etrangement tremblante; mais, tout a son emotion, il ne fit
pas cette observation.
C'est qu'en realite, Anie, qui n'avait pas dormi depuis qu'elle s'etait
mise au lit a son heure habituelle, ne venait pas de s'eveiller.
En recevant la depeche de son mari, alors qu'elle l'attendait pour
diner, elle avait eprouve une commotion violente, hors de toute
proportion, semblait-il, avec un fait si simple.
Pourquoi restait-il chez le baron? Comment oubliait-il la promesse qu'il
lui avait faite de revenir immediatement? Et, ce qui etait plus grave,
comment ne pensait-il pas qu'apres les craintes qu'elle lui avait
montrees, cette depeche allait la jeter dans l'inquietude et dans
l'angoisse?
C'etait la premiere fois qu'il lui manquait de parole, la seconde fois
qu'il la laissait diner seule; et toujours pour le baron. Que lui
menageait donc cette liaison qui l'epouvantait?
Elle ne put pas diner, et de bonne heure elle monta a sa chambre,
s'imaginant qu'elle serait la moins mal que partout ailleurs pour
attendre. Alors elle calcula le moment ou il pouvait rentrer; et, ses
comptes faits, elle trouva que ce serait sans doute entre dix et onze
heures.
Pour user le temps, elle prit un livre, mais les lignes dansaient devant
ses yeux et elle ne comprenait rien a ce qu'elle lisait. Si elle
continuait ainsi, les minutes seraient eternelles. S'enveloppant d'un
chale, elle sortit sur la verandah pour suivre le mouvement de la
riviere. C'etait la basse mer et il ne se passait rien sur la riviere
qui coulait clapoteuse entre ses rives confuses; la nuit etait sombre;
rien sur les eaux, rien sur la terre, rien au ciel qui put occuper son
esprit et l'emporter au pays de la reverie ou le temps se devore sans
qu'on sache comment.
Apres un certain temps elle revint a son livre, le changea, pour un
nouveau qui peut-etre serait plus attachant, l'abandonna bientot comme
elle avait fait du premier, retourna sur la verandah, tacha de deviner
ce qu'elle ne voyait pas, rentra dans sa chambre, descendit au
rez-de-chaussee epousseter une vitrine qui tout a coup se trouva avoir
besoin d'etre nettoyee, cassa deux bibelots, se facha contre sa
maladresse, et remonta dans sa chambre pour se jeter dans un fauteuil ou
elle resta jusqu'a dix heures.
Alors elle se deshabilla lentement et fit une coquette toilette de
nuit: puisqu'il avait paru surpris, presque fache la premiere fois
qu'elle l'avait attendu, elle ne voulait pas qu'il en fut ains
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