etait celui-la qui revenait le plus souvent, comme le refrain de la
chanson que chantait son coeur.
Quelle envolee pour lui! Quel changement de destinee!
Au temps ou il se savait l'heritier de Gaston, il s'etait arrange un
avenir avec un interieur, une famille, tout ce qui avait si
douloureusement manque a sa jeunesse, et, s'il n'avait pas des ce moment
realise ses reves, c'est que Gaston ne l'avait pas voulu, se reservant
de trouver lui-meme la femme qu'il voulait lui donner, et qui devait
reunir un tel ensemble de qualites qu'on ne pouvait la prendre au
hasard: il fallait chercher, attendre. Mais, en attendant, la mort etait
venue, et le testament qu'il connaissait dans ses dispositions
principales ne s'etait pas retrouve: de la fortune certaine qui
permettait tous les espoirs et toutes les ambitions, il etait tombe a la
misere. Si violente qu'eut ete la chute, il n'etait cependant pas reste
ecrase. A la verite, il avait eu un moment de protestation suivi d'une
periode de revolte et d'ameres recriminations: qu'avait-il fait pour
meriter une si rude destinee? Mais il n'etait pas homme a se courber
sous la main qui le frappait, et a s'aigrir dans le desespoir. Il ne
pouvait etre que soldat, c'etait deja beaucoup qu'il put l'etre, et tout
de suite, abandonnant l'appartement confortable que la pension que lui
servait M. de Saint-Christeau lui permettait d'occuper, il avait loue
une chambre modeste, la meublant simplement des meubles qu'il
conservait, et regle les depenses de cette nouvelle existence sur sa
solde de capitaine. Et cela s'etait fait dignement, sans plainte comme
sans honte, sinon sans regret; il aurait la vie de l'officier pauvre, et
encore serait-elle moins miserable que celle de plusieurs de ses
camarades, puisqu'il n'avait pas de dettes et n'en ferait jamais.
Et voila que tout a coup, d'un mot, le notaire lui rouvrait les portes
de la vie heureuse: cette belle fille qu'il avait du s'habituer a
regarder et a traiter comme la femme d'un autre pouvait etre la sienne.
--Ah! vraiment! ah vraiment!
Et il riait en arpentant sa chambre, dont le parquet craquait sous ses
coups de talon triomphants.
Reflechir? Ah! bien oui. Ce n'etait pas a ses reflexions que le notaire
l'avait laisse, c'etait a la joie.
Cependant, quand le premier trouble commenca a se calmer un peu, la
pensee de d'Arjuzanx se presenta a son esprit, sinon inquietante, au
moins genante. D'Arjuzanx eut ete un indifferent ou un inconnu,
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