D'ordinaire, madame Cormier l'ecoutait respectueusement, mais elle lui
coupa la parole.
--Et madame Dammauville? demanda-t-elle.
--Madame Dammauville a des yeux excellents; c'est une femme de tete qui,
sans le secours d'aucun homme d'affaires, administre sa fortune.
Defaillante, madame Cormier se laissa tomber sur une chaise.
--Oh! le pauvre enfant! murmurait-elle.
Des exclamations de joie lui echappaient qui n'avaient pas de sens
precis.
Philis, radieuse, regardait Saniel, qui faisait des efforts pour ne pas
rester sombre, et paraitre s'associer a cette joie.
--C'est bien ce que je pensais, dit-il; mais il etait imprudent de
s'abandonner aujourd'hui a des espoirs que demain aurait detruits.
Pendant qu'il parlait, il echappait au moins a l'embarras de sa
situation et a l'examen de Philis.
--Qu'a dit M. Nougarede? demanda-t-elle.
--Je vous l'expliquerai tout a l'heure; commencez par nous raconter ce
que vous avez appris de madame Dammauville; c'est son etat qui decidera
notre conduite, au moins celle que Nougarede conseille d'adopter.
--Quand la concierge m'a vue revenir, commenca Philis, elle a montre une
certaine surprise; mais n'est une bonne femme qui se laisse facilement
apprivoiser, et je n'ai pas eu trop de peine a la faire raconter sur
madame Dammauville tout ce qu'elle sait. Il y a trois ans que madame
Dammauville est veuve, sans enfant; elle a environ quarante ans; et
c'est depuis son veuvage qu'elle habite sa maison de la rue Sainte-Anne.
Jusqu'a l'annee derniere, elle n'etait pas mal portante, cependant elle
allait tous les ans aux eaux a Lamalou. Il y a un an, elle a ete prise
de douleurs qu'on a cru rhumatismales et a la suite desquelles s'est
declaree la paralysie qui la tient au lit. Elle souffre parfois a crier,
mais ce sont des crises qui ne durent pas toujours. Dans les intervalles
elle vit de la vie ordinaire, si ce n'est qu'elle ne se leve point: elle
lit beaucoup, recoit quelques amies, sa belle-soeur, veuve d'un notaire,
ses neveux et nieces, un des vicaires de la paroisse, car elle est
pieuse et surtout tres charitable. Ses yeux sont excellents. Jamais elle
n'a eu ni delire ni hallucination. Elle est tres reservee, deteste
les bavardages, et cherche par-dessus tout a vivre tranquille; aussi
l'assassinat de Caffie l'a-t-il exasperee: elle ne voulait pas qu'on lui
en parlat et elle-meme n'en parlait a personne; elle aurait meme dit
que, si elle etait en etat de quitter sa mai
|