ne providence
pour les pauvres gens qui voulaient fumer une pipe et saler leur soupe.
Il quitte son village n'ayant pour tout patrimoine qu'une veste de cuir,
une culotte de velours et de bons souliers.
Ou va-t-il? il n'en sait rien, droit devant lui, au hasard; il a de
bonnes jambes, de bons bras et l'inconnu l'attire. Avec cela, il n'a pas
peur de rester un jour ou deux sans manger; il en est quitte pour serrer
la ceinture de sa culotte, et quand une bonne chance se presente, il
dine pour deux.
Apres six mois, il ne s'est pas encore beaucoup eloigne de son village;
car il s'est arrete de place en place, la ou le pays lui plaisait et ou
il trouvait a travailler, valet de ferme ici, domestique d'auberge la.
Au mois de novembre, il arrive a la montagne Noire, ce grand massif
escarpe qui commence les Cevennes.
La saison est rude, le froid est vif, les jours sont courts, les nuits
sont longues, la terre est couverte de neige, et l'on ne trouve plus de
fruits aux arbres: la route devient penible pour les voyageurs et il
ferait bon trouver un nid quelque part pour passer l'hiver. Mais ou
s'arreter, le pays est pauvre, et nulle part on ne veut prendre un
garcon de quinze ans qui n'a pour tous merites qu'un magnifique appetit.
Il faut marcher, marcher toujours comme le juif errant, sans avoir cinq
sous dans sa poche.
Il marche donc jusqu'au jour ou ses jambes refusent de le porter, car
il arrive un jour ou lui, qui n'a jamais ete malade, se sent pris de
frisson avec de violentes douleurs dans la tete et dans les reins; il a
soif, le coeur lui manque, et grelottant, ne se soutenant plus, il est
oblige de demander l'hospitalite a un paysan.
La nuit tombait, le vent soufflait glacial, on ne le repoussa point
et on le conduisit a une bergerie ou il put se coucher; la chaleur du
fumier et celle qui se degageait de cent cinquante moutons tasses les
uns contre les autres, l'empecha de mourir de froid, mais elle ne le
rechauffa point, et toute la nuit il trembla.
Le lendemain matin, en entrant dans l'etable, le patre le trouva etendu
sur son fumier, incapable de faire un mouvement. Sa figure et ses mains
etaient couvertes de boutons rouges. C'etait la petite verole.
On voulut tout d'abord le renvoyer; mais a la fin on eut pour lui la
pitie qu'on aurait eue pour un chien, et on le laissa dans le coin de
son etable. Malheureusement les gens chez lesquels le hasard l'avait
fait tomber etaient si pauvres, qu'ils ne pouvai
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