ouvernement. Depuis ce moment jusqu'a sa
mort, sa conversion ne se dementit point, et sa penitence augmenta
toujours.
"Peu a peu, elle en vint a donner presque tout ce qu'elle avait aux
pauvres. Elle travaillait pour eux plusieurs heures par jour a des
ouvrages bas et grossiers. Sa table, qu'elle avait aimee avec exces,
devint la plus frugale; ses jeunes fort multiplies, et a toutes les
heures elle quittait tout pour aller prier dans son cabinet. Ses
macerations etaient continuelles; ses chemises et ses draps etaient de
toile jaune la plus dure et la plus grossiere. Elle portait sans cesse
des bracelets, des jarretieres et une ceinture a pointes de fer, et sa
langue, autrefois si a craindre, avait aussi sa penitence. Elle etait,
de plus, tellement tourmentee des affres de la mort, qu'elle payait
plusieurs femmes dont l'emploi unique etait de la veiller. Elle couchait
tous ses rideaux ouverts, avec beaucoup de bougies dans sa chambre; ses
veilleuses autour d'elle, qu'a toutes les fois qu'elle se reveillait,
elle voulait trouver causant, jouant ou mangeant, pour se rassurer
contre leur assoupissement.
"Parmi tout cela, elle ne put jamais se defaire de l'exterieur de reine
qu'elle avait usurpe dans sa faveur et qui la suivit dans sa retraite.
Il n'y avait personne qui n'y fut si accoutume de ce temps-la, qu'on
n'en conservat l'habitude sans murmure. Son fauteuil avait le dos
joignant le pied de son lit; il n'en fallait point chercher d'autre dans
la chambre... Belle comme le jour jusqu'au dernier moment de sa vie;
sans etre malade, elle croyait toujours l'etre et aller mourir. Cette
inquietude l'entretenait dans le gout de voyager, et dans ses voyages
elle menait toujours sept ou huit personnes de compagnie. Elle en fut
toujours de la meilleure, avec des graces qui faisaient passer ses
hauteurs et qui leur etaient adaptees. Il n'etait pas possible
d'avoir plus d'esprit, de fiere politesse, d'expressions singulieres,
d'eloquence, de justesse naturelle qui lui formaient comme un langage
particulier, mais qui etait delicieux et qu'elle communiquait si bien
par l'habitude, que ses nieces et les personnes assidues aupres d'elle,
ses femmes et celles qui, sans l'avoir ete, avaient ete elevees chez
elle, les prenaient toutes, et qu'on le sent et qu'on le reconnait
encore aujourd'hui dans le peu de personnes qui en restent. C'etait le
langage naturel de la famille, de son pere et de ses soeurs."
Nous ne porterons pas ces dou
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