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jours. L'une d'elles, la principale de la ville, nourrissait son enfant
de son lait, et comme elle etait assise a table a cote de Marguerite, la
princesse admira tout a son aise la belle Flamande et le costume qu'elle
portait:
"Elle etoit paree a ravir et couverte de pierreries et de broderies,
avec une rabille a l'espagnole de toile d'or noire, avec des bandes
de broderie de canetille d'or et d'argent, et un pourpoint de toile
d'argent blanche en broderie d'or, avec de gros boutons de diamants
(habit approprie a l'office de nourrice)."
Ainsi faite, elle etait eblouissante; mais ecoutez la suite et le
couronnement du festin. Quand on fut au dessert, la jeune mere eut souci
de son nourrisson et fit signe qu'on le lui apportat. "On lui apporta
l'enfant, emmaillote aussi richement qu'estoit vestue la nourrice. Elle
le mit entre nous deux sur la table, et librement donna a teter a son
petit. Ce qui eust ete tenu a incivilite a quelqu'autre; mais elle le
faisoit avec tant de grace et de naivete, comme toutes ses actions
en etoient accompagnees, qu'elle en recut autant de louanges que la
compagnie de plaisir." Si vous aimez les tableaux flamands, en voila
un trace de main de maitre, avec une extreme elegance, et c'est grand
dommage que dans ces Flandres, fecondes en grands artistes, pas un n'ait
songe a reproduire sur une toile intelligente un si charmant spectacle.
Or, la reine Marguerite, ayant dompte le gouverneur de Cambrai, vint
facilement a bout des dames de Mans:
--Comment donc, leur dit-elle, ne pas vous aimer, vous trouvant toutes
francaises?
--Helas! repondaient ces dames, nous etions Francaises autrefois! Nous
savons la France aussi bien que les Francais; nous la regrettons, nous
la pleurons, mais les Espagnols sont les plus forts. Dites cela, Madame,
a votre frere le roi de France, afin qu'il nous vienne en aide, et
dites-lui que s'il fait un pas, nous en ferons deux, tant nous sommes
disposes a reconnaitre, a saluer sa couronne.
Ainsi ces dames parlaient sans crainte, et conspiraient franchement,
sans perdre une sarabande, une chanson. Le lendemain, Marguerite,
avant son depart, s'en fut visiter un beguinage, qui est une espece de
couvent, compose de quantite de petites maisons dans lesquelles sont
elevees de jeunes demoiselles par des religieuses savantes. Elles
portent le voile jusqu'a vepres, et, sitot les vepres dites, elles se
parent de leurs plus beaux atours, et s'en vont dans le plus gran
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