, il entre enfin en pleine possession du
succes, de la popularite, de la fortune. Il doutait jusqu'a cette heure,
et meme aux jours du succes, il se demandait s'il n'etait pas le jouet
d'un songe, et si le lendemain serait aussi doux que la veille. Il faut
tant de soin, de zele et de bonheur, disons tout, tant de merite et
de talent, pour percer le nuage, et le bruit vient si lentement a
l'ecrivain! Quoi de plus triste et rempli des plus terribles angoisses
que les premiers commencements du travail litteraire? On hesite, on se
trouble, on etudie, epouvante de tant d'obstacles, toutes les petites
passions de son lecteur. Le style, en meme temps, qui se revele a si peu
de beaux esprits singuliers et primesautiers, represente a lui seul une
peine infinie. Ah! que de fois voila le commencant qui maudit la tache
acceptee! Il y renonce, il n'en veut plus; il sera volontiers le soldat,
le marin, l'avocat, le marchand; mais ecrire incessamment, ecrire
aujourd'hui, demain, toujours: "Non, non, se dit-il, c'est impossible!"
aussi decourage qu'un enfant qui prend le plus proche horizon pour la
fin du monde. On composerait une liste originale de tres bons ecrivains
qui se sont arretes net au bout du premier sentier.
Mais c'est surtout dans l'art dramatique et parmi les jeunes adeptes de
la comedie, ignorants du danger, que se fait sentir un decouragement
mortel. L'acces est si difficile en ces theatres, oberes pour la
plupart, et qui n'ont pas le temps d'attendre. Il leur faut tant
d'argent et tout du suite! Ils sont si parfaitement incapables de
se dire, a l'aspect d'un talent qui vient de naitre: "Attendons,
faisons-lui place, il aura bientot son tour." Non, non; en vingt-quatre
heures, il faut reussir. Tout de suite il faut dominer le caprice et la
volonte d'un parterre habitue aux plus vieux effets du melodrame, et si
le jeune homme est vraiment nouveau, si son oeuvre a l'accent vrai de la
jeunesse, et s'il decouvre un petit recoin ou pas un, sinon les maitres,
n'a passe avant lui, que d'obstacles encore, et comme il doit se
feliciter lorsque enfin, par une suite incroyable de petits bonheurs,
il arrive a se dire: "On m'ecoute, on me suit, le publie sourit a mon
oeuvre; a la fin donc je suis le maitre absolu des passions et des
volontes d'alentour!"
Tel etait, aux environs de la revolution de 1830, l'aimable et charmant
ecrivain que nous allons mettre en scene a son tour, et dont le souvenir
est reste cher a tous les honnete
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