doux visage ou l'esprit et la bonte se melaient dans un si
calme et si parfait accord. Elle ne l'eut pas reve plus habile et
plus charmant. A l'instant meme, elle se sentit sauvee. Elle se leva,
triomphante, de son siege, en arrangeant les longs plis de sa robe, et
d'une voix legere:
--Ah! mon beau cousin, lui dit-elle, vous vous etes fait bien attendre,
et cependant soyez le bienvenu.
Son sourire etait gai, ses yeux riaient. Elle etait une de ces creatures
douces et faibles qui ne sont heureuses que dans le calme et le repos.
Puis enfin elle accorda un regard au jeune compagnon de ce cousin qui
venait avec tant d'a-propos, et lui fit un beau salut.
--Permettez-moi, ma chere cousine, de vous presenter un jeune Africain
de mes amis, tres brave homme, et sachant par coeur tout mon repertoire.
Or, voici le raisonnement que j'ai fait: Je me suis dit ce matin meme:
il y aura tantot douze personnes a la table de Mme de Saint-Geran; si je
viens seul, je ferai le treizieme et je ne serai pas bon a jeter a ses
chiens. Grace a mon ami le lieutenant, nous serons quatorze; au besoin,
on dressera la petite table, et tout ira pour le mieux.
Chacun pretait l'oreille aux paroles du nouveau venu. Seul, dans son
coin, le grand Romain se depitait que l'attention fut passee a ce
cousin de malheur. En vain il s'efforcait de reprendre le fil de la
conversation qui s'etait brise entre ses mains, il avait perdu tout
credit; il sentait le sol se derober sous ses pas; ses meilleures
plaisanteries etaient a peine ecoutees; ses bons mots, que chacun, il
n'y a qu'un instant, admirait en toute confiance, etaient semblables
a des fleches emoussees, et quand le Jolibois, tres interdit, tres
mecontent, annonca que madame etait servie, en vain M. Romain offrit son
bras a la dame.
--Apprenez, Monsieur, lui dit le poete, que c'est un des privileges
de ma cousine de choisir le convive a sa droite, et je lui conseille
d'offrir son bras et la place d'honneur a son notaire, M. Urbain. Quant
a vous, mon officier, vous ne demanderez pas mieux que de conduire a la
petite table Mlle Laure. En meme temps, il offrait son bras a une bonne
femme, au visage aimable et gai, et qui semblait toute contente.
--Ah! disait-elle, Dieu soit loue, voici M. Romain remis a sa place, et
je savais bien que vous n'abandonneriez pas votre aimable cousine a tant
de perfides conseils.
Et, cette fois, Mme de Saint-Geran, entouree a souhait par ce bel esprit
qui semblait
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