; mais
Bonaparte sentait que le directoire n'oserait pas refuser la
ratification du traite, car ce serait se mettre en opposition avec
l'opinion de la France. Le directoire l'avait choquee deja en rompant a
Lille, il la choquerait bien plus en rompant a Udine, et il justifierait
tous les reproches de la faction royaliste, qui l'accusait de vouloir
une guerre eternelle. Bonaparte sentait donc bien qu'en signant le
traite, il obligeait le directoire a le ratifier.
Il donna donc hardiment son ultimatum a M. de Cobentzel: c'etait Venise
pour l'Autriche, mais l'Adige et Mantoue pour la Cisalpine, le Rhin et
Mayence pour la France, avec les iles Ioniennes en sus. Le 16 octobre
(25 vendemiaire an VI), la derniere conference eut lieu a Udine chez M.
de Cobentzel. De part et d'autre on declarait qu'on allait rompre; et M.
de Cobentzel annoncait que ses voitures etait preparees. On etait
assis autour d'une longue table rectangulaire; les quatre negociateurs
autrichiens etaient places d'un cote; Bonaparte etait seul de l'autre.
M. de Cobentzel recapitula tout ce qu'il avait dit, soutint que
l'empereur, en abandonnant les clefs de Mayence, devait recevoir celles
de Mantoue; qu'il ne pouvait faire autrement sans se deshonorer; que, du
reste, jamais la France n'avait fait un traite plus beau; qu'elle n'en
desirait certainement pas un plus avantageux; qu'elle voulait avant
tout la paix, et qu'elle saurait juger la conduite du negociateur qui
sacrifiait l'interet et le repos de son pays a son ambition militaire.
Bonaparte, demeurant calme et impassible pendant cette insultante
apostrophe, laissa M. de Cobentzel achever son discours; puis, se
dirigeant vers un gueridon qui portait un cabaret de porcelaine, donne
par la grande Catherine a M. de Cobentzel et etale comme un objet
precieux, il s'en saisit et le brisa sur le parquet, en prononcant ces
paroles: "La guerre est declaree; mais souvenez-vous qu'avant trois mois
je briserai votre monarchie, comme je brise cette porcelaine." Cet acte
et ces paroles frapperent d'etonnement les negociateurs autrichiens. Il
les salua, sortit, et, montant sur-le-champ en voiture, ordonna a un
officier d'aller annoncer a l'archiduc Charles que les hostilites
recommenceraient sous vingt-quatre heures. M. de Cobentzel, effraye,
envoya sur-le-champ l'ultimatum signe a Passeriano. L'une des conditions
du traite etait l'elargissement de M. de Lafayette, qui, depuis cinq
ans, supportait heroiquement sa deten
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