enait de songer a l'Egypte. M. de Choiseul
avait eu l'idee de l'occuper, lorsque toutes les colonies d'Amerique
furent en peril. On y songea encore lorsque Joseph II et Catherine
menacaient l'empire ottoman. Recemment le consul francais au Caire, M.
Magallon, homme distingue et tres au fait de l'etat de l'Egypte et de
l'Orient, avait adresse des memoires au gouvernement, soit pour denoncer
les avanies que les Mamelucks faisaient subir au commerce francais, soit
pour faire sentir les avantages qu'on retirerait de la vengeance exercee
contre eux. Bonaparte s'etait entoure de tous ces documens, et avait
forme son plan d'apres leur contenu. L'Egypte etait, selon lui, le
veritable point intermediaire entre l'Europe et l'Inde; c'est la qu'il
fallait s'etablir pour ruiner l'Angleterre; de la on devait dominer a
jamais la Mediterranee, en faire, suivant une de ses expressions, un
_lac francais_; assurer l'existence de l'empire turc, ou prendre la
meilleure part de ses depouilles. Une fois qu'on se serait etabli en
Egypte, on pouvait faire deux choses: ou creer une marine dans la mer
Rouge et aller detruire les etablissemens dans la grande peninsule
indienne, ou bien faire de l'Egypte une colonie et un entrepot. Le
commerce de l'Inde ne pouvait manquer de s'y transporter bientot pour
abandonner le cap de Bonne-Esperance. Toutes les caravanes de la Syrie,
de l'Arabie, de l'Afrique, se croisaient deja au Caire. Le commerce seul
de ces contrees pouvait devenir immense. L'Egypte etait la contree la
plus fertile de la terre. Outre la grande abondance des cereales,
elle pouvait fournir tous les produits de l'Amerique, et la remplacer
entierement. Ainsi, soit qu'on fit de l'Egypte un point de depart pour
aller attaquer les etablissemens des Anglais, soit qu'on en fit un
simple entrepot, on etait assure de ramener le grand commerce dans ses
veritables voies, et de faire aboutir ces voies en France.
Cette entreprise audacieuse avait ensuite, aux yeux de Bonaparte, des
avantages d'a-propos. D'apres les lumineux rapports du consul Magallon,
c'etait le moment de partir pour l'Egypte. On pouvait, en activant les
preparatifs et le trajet, arriver aux premiers jours de l'ete. On devait
trouver alors la recolte achevee et recueillie, et des vents favorables
pour remonter le Nil. Bonaparte soutenait qu'avant l'hiver il etait
impossible de debarquer en Angleterre; que d'ailleurs elle etait trop
avertie; que l'entreprise d'Egypte, au contraire, et
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