isir, et transportait tous ceux qui l'ecoutaient
par ses recits clairs, frappans et dramatiques. Si ses exploits avaient
annonce un grand capitaine, ses entretiens revelaient un esprit
original, fecond, tour a tour vaste ou precis, et toujours entrainant,
quand il voulait se livrer. Il avait conquis les masses par sa gloire;
par ses entretiens il commencait a conquerir, un a un, les premiers
hommes de France. L'engouement, deja tres grand, le devenait davantage
quand on l'avait vu. Il n'y avait pas jusqu'a ces traces d'une origine
etrangere, que le temps n'avait pas encore effacees en lui, qui ne
contribuassent a l'effet. La singularite ajoute toujours au prestige du
genie, surtout en France, ou, avec la plus grande uniformite de moeurs,
on aime l'etrangete avec passion. Bonaparte affectait de fuir la foule
et de se cacher aux regards. Quelquefois meme il accueillait mal les
marques trop vives d'enthousiasme. Madame de Stael, qui aimait et avait
droit d'aimer la grandeur, le genie et la gloire, etait impatiente de
voir Bonaparte, et de lui exprimer son admiration. En homme imperieux,
qui veut que tout le monde soit a sa place, il lui sut mauvais gre
de sortir quelquefois de la sienne; il lui trouva trop d'esprit,
d'exaltation; il pressentit meme son independance a travers son
admiration, il fut froid, dur, injuste. Elle lui demanda un jour avec
trop peu d'adresse, quelle etait, a ses yeux, la premiere des femmes;
il lui repondit sechement: _Celle qui a fait le plus d'enfans_. Des cet
instant commenca cette antipathie reciproque, qui lui valut a elle des
tourmens si peu merites, et qui lui fit commettre a lui des actes d'une
tyrannie petite et brutale. Il sortait peu, vivait dans sa petite maison
de la rue Chantereine, qui avait change de nom, et que le departement de
Paris avait fait appeler rue _de la Victoire_. Il ne voyait que quelques
savans, Monge, Lagrange, Laplace, Bertholet; quelques generaux, Desaix,
Kleber, Caffarelli; quelques artistes, et particulierement le celebre
acteur que la France vient de perdre, Talma, pour lequel il avait des
lors un gout particulier. Il sortait ordinairement dans une voiture fort
simple, n'allait au spectacle que dans une loge grillee, et semblait ne
partager aucun des gouts si dissipes de sa femme. Il montrait pour elle
une extreme affection; il etait domine par cette grace particuliere
qui, dans la vie privee comme sur le trone, n'a jamais abandonne madame
Beauharnais, et qui chez
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