elle suppleait a la beaute.
Une place venant a vaquer a l'Institut par la deportation de Carnot, on
se hata de la lui offrir. Il l'accepta avec empressement, vint s'asseoir
le jour de la seance de reception entre Lagrange et Laplace, et ne cessa
plus de porter dans les ceremonies le costume de membre de l'Institut,
affectant de cacher ainsi le guerrier sous l'habit du savant.
Tant de gloire devait porter ombrage aux chefs du gouvernement, qui
n'ayant pour eux ni l'anciennete du rang, ni la grandeur personnelle,
etaient entierement eclipses par le guerrier pacificateur. Cependant
ils lui temoignaient les plus grands egards, et il y repondait par de
grandes marques de deference. Le sentiment qui preoccupe le plus est
d'ordinaire celui dont on parle le moins. Le directoire etait loin de
temoigner aucune de ses craintes. Il recevait de nombreux rapports de
ses espions qui allaient dans les casernes et dans les lieux publics
ecouter les propos dont Bonaparte etait l'objet. Bonaparte devait
bientot, disait-on, se mettre a la tete des affaires, renverser un
gouvernement affaibli, et sauver ainsi la France des royalistes et
des jacobins. Le directoire feignant la franchise, lui montrait ces
rapports, et affectait de les traiter avec mepris, comme s'il avait
cru le general incapable d'ambition. Le general, non moins dissimule,
recevait ces temoignages avec reconnaissance, assurant qu'il etait digne
de la confiance qu'on lui accordait. Mais de part et d'autre la defiance
etait extreme. Si les espions de la police parlaient au directoire de
projets d'usurpation, les officiers qui entouraient le general lui
parlaient de projets d'empoisonnement. La mort de Hoche avait fait
naitre d'absurdes soupcons, et le general qui, quoique exempt de
craintes pueriles, etait prudent neanmoins, prenait des precautions
extremes quand il dinait chez certain directeur. Il mangeait peu, et ne
goutait que des viandes dont il avait vu manger le directeur lui-meme,
et du vin dont il l'avait vu boire.
Barras aimait a faire croire qu'il etait l'auteur de la fortune de
Bonaparte, et que n'etant plus son protecteur, il etait reste son ami.
Il montrait en particulier un grand devouement pour sa personne;
il cherchait, avec sa souplesse ordinaire, a le convaincre de son
attachement, il lui livrait volontiers ses collegues, et affectait de
se mettre a part. Bonaparte accueillait peu les temoignages de ce
directeur, dont il ne faisait aucun cas, et ne le p
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