les vieilles
parentes et amies qu'on n'eut pas ose produire au grand jour, meme la
grosse servante du cabaret, qui s'est evertuee depuis le matin a servir
ses pratiques, et qui retrousse son tablier enfume pour se tremousser
avec des graces surannees; meme le petit tailleur bossu, qui eut fait
rougir les jeunes filles en les embrassant a la _belle heure_, et qui
dit, en fendant sa bouche jusqu'aux oreilles, _qu'a la nuit tous les
chats sont gris_.
Rose, ennuyee de bouder, retrouva l'envie de se divertir lorsque tous
ses parents furent partis. Avant de retourner a la fete, elle voulut
voir la folle, qui avait dormi tout le jour sous la garde de la grosse
Chounette. Elle entra doucement dans sa chambre, et la trouva eveillee,
assise sur son lit, l'air pensif et presque calme. Pour la premiere
fois, depuis bien longtemps, Rose osa lui toucher la main et lui
demander de ses nouvelles, et, pour la premiere fois depuis douze ans,
la folle ne retira pas sa main et ne se retourna pas du cote de la
ruelle avec humeur.
--Ma chere soeur, ma bonne Bricoline, repeta Rose enhardie et joyeuse,
te sens-tu mieux?
--Je me sens bien, repondit la folle d'une voix breve. J'ai trouve en
m'eveillant ce que je cherchais _depuis cinquante-quatre ans_.
--Et que cherchais-tu, ma cherie?
--_Je cherchais la tendresse!_ repondit la Bricoline d'un ton etrange et
en posant un doigt sur ses levres d'un air mysterieux. Je l'ai cherchee
partout: dans le vieux chateau, dans le jardin, au bord du la source,
dans le chemin creux, dans la garenne surtout! Mais elle n'est pas la,
Rose, et tu la cherches en vain, toi-meme. Ils l'ont cachee dans un
grand souterrain qui est sous cette maison, et c'est sous des ruines
qu'on pourra la trouver. Cela m'est venu en dormant, car en dormant
je pense et je cherche toujours. Sois tranquille, Rose, et laisse-moi
seule! Cette nuit, pas plus tard que cette nuit, je trouverai la
tendresse et je l'en ferai part. C'est alors que nous serons riches! _Au
jour d'aujourd'hui_, comme dit ce gendarme qu'on a mis ici pour nous
garder, nous sommes si pauvres que personne ne veut de nous. Mais
demain, Rose, pas plus tard que demain, nous serons mariees toutes les
deux, moi avec Paul, qui est devenu roi d'Alger; et toi avec cet homme
qui porte des sacs de ble et qui te regarde toujours. J'en ferai mon
premier ministre, et son emploi sera de faire bruler a petit feu
ce gendarme qui dit toujours la meme chose et qui nous a fai
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