disent? car on
n'a la puissance de l'esprit qu'avec les lumieres de l'instruction, et
l'instruction qu'avec la puissance de l'argent: et pourtant, tout ce
dont on jouit, tout ce qu'on acquiert, tout ce qu'on possede, est au
detriment de celui qui ne peut rien acquerir, rien posseder des biens
celestes et materiels.
--Vous me prenez par mes propres utopies, Marcelle. Helas! que vous
repondrai-je, sinon que nous vivons, en effet, dans un temps d'enorme
et inevitable inconsequence, ou les bons coeurs veulent le bien et sont
forces d'accepter le mal? On ne manque pas de raisons pour se prouver
a soi-meme, comme font tous les heureux du siecle, qu'on doit soigner,
edifier et poetiser sa propre existence pour faire de soi un instrument
actif et puissant au service de ses semblables; que se sacrifier,
s'abaisser et s'annihiler comme les premiers chretiens du desert, c'est
neutraliser une force, c'est etouffer une lumiere que Dieu avait envoyee
aux hommes pour les instruire et les sauver. Mais que d'orgueil dans ce
raisonnement, tout juste qu'il semble dans la bouche de certains
hommes eclaires et sinceres! C'est le raisonnement de l'aristocratie.
Conservons nos richesses pour faire l'aumone, disent aussi les devots
de votre caste. C'est nous, disent les princes de l'Eglise, que Dieu a
institues pour eclairer les hommes. C'est nous, disent les democrates de
la bourgeoisie, nous seuls, qui devons initier le peuple a la liberte!
Voyez pourtant quelles aumones, quelle education et quelle liberte ces
puissants ont donnees aux miserables! Non! la charite particuliere ne
peut rien, l'Eglise ne veut rien, le liberalisme moderne ne sait rien.
Je sens mon esprit defaillir et mon coeur s'eteindre dans ma poitrine
quand je songe a l'issue de ce labyrinthe ou nous voila engages, nous
autres qui cherchons la verite et a qui la societe repond par des
mensonges ou des menaces. Marcelle, Marcelle, aimons-nous, pour que
l'esprit de Dieu ne nous abandonne pas!
--Aimons-nous, s'ecria Marcelle en se jetant dans les bras de son amant;
et ne me quitte pas, ne m'abandonne pas a mon ignorance, Lemor, car
tu m'as fait sortir de l'etroit horizon catholique ou je faisais
tranquillement mon salut, mettant la decision de mon confesseur
au-dessus de celle du Christ, et me consolant de ne pouvoir etre
chretienne a la lettre, lorsqu'un pretre m'avait dit: _Il est avec le
ciel des accommodements_. Tu m'as fait entrevoir une sphere plus vaste,
et aujourd'hu
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