qui devenait plus claire
a chaque instant. Tout a coup Marcelle tressaillit en voyant qu'elle
n'etait pas seule dans la chaumiere, mais son second frisson ne fut pas
cause par la peur: Lemor etait a ses cotes. Il s'etait cache, a l'insu
de tous, derriere le lit en forme de corbillard, garni de rideaux
de serge. Il s'etait enhardi jusqu'a rechercher un tete-a-tete avec
Marcelle, se disant que c'etait le dernier, et qu'il faudrait partir
apres.
--_Puisque vous voila_, lui dit-elle, dissimulant, avec une tendre
coquetterie, la joie et l'emotion de sa surprise, je veux vous dire
tout haut ce que je pensais. Si nous etions reduits a habiter cette
chaumiere, votre amour resisterait-il a la souffrance du jour et a
l'inaction du soir? Pourriez-vous vivre prive de livres, ou ne pouvant
vous en servir faute d'une goutte d'huile dans la lampe, et de temps aux
heures ou le travail occuperait vos bras? Apres quelques annees
d'ennuis et de privations de tous genres, trouveriez-vous cette demeure
pittoresque dans son delabrement et la vie du pauvre poetique dans sa
simplicite?
--J'avais les memes pensees precisement, Marcelle, et je songeais a vous
demander la meme chose. M'aimeriez-vous si je vous entretenais, par mes
utopies, dans une pareille misere?
--Il me semble que oui, Lemor.
--Et pourquoi doutez-vous de moi? Ah! vous n'etes pas sincere en me
repondant oui!
--Je ne suis pas sincere? dit Marcelle en mettant ses deux mains dans
celles de Lemor. Mon ami, je veux etre digne de vous, c'est pourquoi je
me preserve de l'exaltation romanesque qui peut pousser, meme une femme
du monde, a tout affirmer, a tout promettre, sauf a ne rien tenir, et
a se dire le lendemain: "J'ai compose hier un joli roman." Moi, je
ne passe pas un jour sans adresser a ma conscience les plus severes
interrogations, et je crois etre sincere en vous repondant que je ne
puis me representer une situation, fut-ce l'horreur d'un cachot, ou je
cesserais de vous aimer a force de souffrir!
--O Marcelle! chere et grande Marcelle! Mais pourquoi donc doutez-vous
de moi?
--Parce que l'esprit de l'homme differe du notre. Il est habitue a
d'autres aliments que la tendresse et la solitude. Il lui faut de
l'activite, du travail, l'espoir d'etre utile, non-seulement a sa
famille, mais a l'humanite.
--Aussi, n'est-ce pas un devoir de se precipiter volontairement dans
cette impuissance de la misere!
--Nous vivons donc dans un temps ou les devoirs se contre
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