ent jusqu'a minuit. Le son de la cornemuse,
uni a celui de la vielle, ecorche un peu les oreilles de pres; mais,
de loin, cette voix rustique qui chante parfois de si gracieux motifs
rendus plus originaux par une harmonie barbare, a un charme qui penetre
les ames simples et qui fait battre le coeur de quiconque en a ete
berce dans les beaux jours de son enfance. Cette forte vibration de
la musette, quoique rauque et nasillarde, ce grincement aigu et ce
_staccato_ nerveux de la vielle sont faits l'un pour l'autre et se
corrigent mutuellement. Marcelle les ecouta longtemps avec plaisir, et,
remarquant que l'eloignement leur donnait de plus en plus de charme,
elle se trouva a l'extremite de la garenne, perdue dans le reve d'une
vie pastorale! dont on pense bien que son amour faisait tous les frais.
Mais elle s'arreta tout a coup en rencontrant presque sous ses pieds la
folle etendue par terre, sans mouvement et comme morte. Malgre le degout
que lui inspirait la malproprete inouie de ce malheureux etre, elle se
decida, apres avoir vainement essaye de l'eveiller, a la soulever dans
ses bras et a la trainer a quelque distance. Elle l'appuya contre un
arbre, et ne se sentant pas la force de la porter plus loin, elle
se disposait a aller lui chercher du secours a la ferme, lorsque la
Bricoline commenca a sortir de sa torpeur et a soulever, avec sa main
decharnee, ses longs cheveux herisses d'herbes et de gravier qui lui
pesaient sur le visage. Marcelle l'aida a ecarter ce voile epais qui
genait sa respiration, et, pour la premiere fois, osant lui adresser la
parole, elle lui demanda si elle souffrait.
--Certainement, je souffre! repondit la folle avec une indifference
effrayante, et du ton dont elle aurait dit: j'existe encore; puis elle
ajouta d'une voix breve et imperieuse: L'as-tu vu? Il est revenu. Il ne
veut pas me parler. T'a-t-il dit pourquoi?
--Il m'a dit qu'il reviendrait, repondit Marcelle essayant de flatter sa
manie.
--Oh! il ne reviendra pas, s'ecria la folle en se levant avec
impetuosite; il ne reviendra plus! Il a peur de moi. Tout le monde a
peur de moi, parce que je suis tres riche, tres riche, si riche que l'on
m'a defendu de vivre. Mais je ne veux plus etre riche; demain je serai
pauvre. Il est temps que cela finisse. Demain tout le monde sera pauvre.
Tu seras pauvre aussi, Rose, et tu ne feras plus peur. Je punirai les
mechants qui veulent me tuer, m'enfermer, m'empoisonner....
--Mais il y a des pe
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