ements. Mais c'etaient alors
les cris d'un enfant, et maintenant c'etaient ceux d'une furie. Elle
n'avait jamais adresse la parole a personne, et elle venait, pour la
premiere fois, depuis douze ans, de proferer des menaces. Elle n'avait
jamais frappe personne, et elle venait de chercher a tuer sa mere.
Enfin, depuis douze ans, cette victime muette de la cupidite de ses
parents avait promene a l'ecart son inexprimable souffrance, et presque
tout le monde s'etait habitue a ce spectacle deplorable avec une sorte
d'indifference brutale. On n'en avait plus peur, on etait las de la
plaindre, on subissait sa presence comme un mal inevitable, et si l'on
avait des remords, on ne se les avouait peut-etre pas a soi-meme.
Mais cet epouvantable mal qui la devorait devait avoir ses phases de
recrudescence, et on arrivait a celle ou son martyre devenait dangereux
pour les autres. Il fallait bien enfin s'en occuper. M. Bricolin, assis
dehors devant la porte, ecoutait d'un air hebete les condoleances
grossieres de sa famille.
--C'est un grand malheur pour vous, lui disait-on, et vous l'avez
supporte trop longtemps sous vos yeux. C'est une patience au-dessus des
forces humaines, et il faudrait bien vous decider enfin a mettre cette
malheureuse dans une maison de fous.
--On ne la guerira pas! repondit-il en secouant la tete. J'ai essaye de
tout. C'est impossible; son mal est trop grand, il faudra qu'elle en
meure!
--C'est ce qui pourrait arriver de plus heureux pour elle. Vous voyez
bien qu'elle est trop a plaindre sur la terre. Mais enfin si on ne la
guerit pas, on vous soulagera de la peine de la soigner et de la voir.
On l'empechera de vous faire du mal. Si vous n'y faites pas attention,
elle finira par tuer quelqu'un ou se tuer elle-meme devant vous. Ce sera
affreux.
--Mais que voulez-vous? je l'ai dit cent fois a sa mere, et sa mere ne
veut pas s'en separer. Au fond, elle l'aime encore, croyez-moi, et ca se
concoit. Les meres sentent toujours quelque chose pour leurs enfants, a
ce qu'il parait.
--Mais elle sera mieux qu'ici, soyez-en sur. On les soigne tres-bien
maintenant. Il y a de beaux etablissements ou ils ne manquent de rien.
On les tient propres, on les fait travailler, on les occupe, on dit meme
qu'on les amuse, qu'on les mene a la messe et qu'on leur fait entendre
de la musique.
--En ce cas ils sont plus heureux que chez eux, dit M. Bricolin. Il
ajouta apres avoir reve un instant: Et tout cela, ca coute-t-il b
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