ait son entree. Il s'etait place de maniere a ne pas la
perdre de vue un instant. Elle se trouva comme par hasard aupres de la
Grand'Marie, et il la vit avec attendrissement mettre son joli chale
sous les genoux de la meuniere, en depit du refus de la bonne femme.
Apres l'office, Rose prit adroitement le bras de sa grand'mere, qui
avait coutume de ne pas quitter la meuniere, son ancienne amie, quand
elle avait le plaisir de la rencontrer. Ce plaisir devenait chaque annee
plus rare a mesure que l'age rendait aux deux matrones la distance de
Blanchemont a Angibault plus difficile a franchir. La mere Bricolin
aimait a causer. Continuellement _rembarree_, comme elle disait, par sa
belle-fille, elle avait un flux de paroles rentrees a verser dans le
sein de la meuniere, qui, moins expansive, mais sincerement attachee a
sa compagne de jeunesse, l'ecoutait avec patience et lui repondait avec
discernement.
De cette facon, Rose esperait echapper toute la journee a la
surveillance de madame Bricolin et meme a la societe de ses autres
parents, la grand'mere aimant beaucoup mieux l'entretien des paysans ses
pareils que celui des parvenus de sa famille.
Sous les vieux arbres du terrier, en vue d'un site charmant, la foule
des jolies filles se pressait autour des menetriers places deux a deux
sur leurs treteaux a peu de distance les uns des autres, faisant assaut
de bras et de poumons, se livrant a la concurrence la plus jalouse,
jouant chacun dans son ton et selon son prix, sans aucun souci de
l'epouvantable cacophonie produite par cette reunion d'instruments
braillards qui s'evertuaient tous a la fois a qui contrarierait l'air et
la mesure de son voisin. Au milieu de ce chaos musical, chaque quadrille
restait inflexible a son poste, ne confondant jamais la musique qu'il
avait payee avec celle qui hurlait a deux pas de lui, et ne frappant
jamais du pied a faux pour marquer le rhythme, tour de force de
l'oreille et de l'habitude. Les ramees retentissaient de bruits non
moins heterogenes, ceux-ci chantant a pleine voix, ceux-la parlant de
leurs affaires avec passion; les uns trinquant de bonne amitie, les
autres menacant de se jeter les pots a la tete, le tout rehausse de deux
gendarmes indigenes circulant d'un air paterne au milieu de cette cohue,
et suffisant, par leur presence, a contenir cette population paisible
qui, des paroles, en vient rarement aux coups.
Le cercle compacte qui se formait autour des premieres bourrees
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