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cher?
Rose etait profondement affectee. Elle etait la seule, avec sa
grand'mere, qui ne fut pas devenue insensible a la douleur de la pauvre
Bricoline. Si elle evitait d'en parler, c'est parce qu'elle ne pouvait
le faire sans accuser ses parents de ce parricide moral commis par eux;
mais vingt fois le jour elle se surprenait a frissonner d'indignation en
entendant dans la bouche de sa mere les maximes d'egoisme et d'avarice
auxquelles on avait immole sa soeur sous ses yeux. Aussitot que sa
defaillance fut dissipee, elle voulut aider sa grand'mere a calmer la
folle; mais madame Bricolin, qui craignait que ce spectacle ne lui
fit trop d'impression, et qui avait un vague instinct que l'excessive
douleur peut devenir contagieuse, meme dans ses resultats physiques, la
renvoya avec la durete qu'elle portait jusque dans sa sollicitude la
mieux fondee. Rose fut outree de ce refus, et revint dans sa chambre, ou
elle se promena une partie de la nuit, en proie a une vive exaltation,
mais n'en voulant point parler, de crainte de s'exprimer avec trop de
force devant Marcelle, sur le compte de ses parents.
Cette nuit qui avait commence par une douce joie, fut donc extremement
penible pour madame de Blanchemont. Les cris de la folle cessaient par
intervalles, et reprenaient ensuite plus terribles, plus effrayants.
Lorsqu'ils s'arretaient, ce n'etait pas par degres et en s'affaiblissant
peu a peu, c'etait au contraire brusquement, au milieu de leur plus
grande intensite, et comme si une mort violente les eut soudainement
interrompus.
--Ne dirait-on pas qu'on la tue? s'ecriait alors Rose, pale et pouvant a
peine se soutenir en marchant dans sa chambre. Oui, cela ressemble a un
supplice!
Marcelle ne voulut pas lui dire quels atroces supplices en effet la
folle croyait subir et subissait par la pensee dans ces moments-la. Elle
lui cacha l'entretien qu'elle avait eu avec elle dans le parc. De temps
en temps elle allait voir la malade; elle la trouvait alors etendue sur
le carreau, les bras etroitement enlaces autour du pied de son lit, et
comme suffoquee par la fatigue de crier; mais les yeux ouverts, fixes,
et l'esprit evidemment toujours en travail. La grand'mere, agenouillee
aupres d'elle, essayait en vain de glisser un oreiller sous sa tete,
ou d'introduire, dans sa bouche contractee une cuilleree de potion
calmante. Madame Bricolin, assise vis-a-vis sur un fauteuil, pale et
immobile, portait, dans ses traits energiques fo
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