e pour la retenir, lui appliqua ses griffes sur le cou, et l'eut
infailliblement etranglee si la vieille mere Bricolin ne l'en eut
empechee en la prenant a bras le corps. La folle ne s'etait jamais
portee a aucun acte de violence envers sa grand'mere, soit qu'elle eut
conserve pour elle, sans la reconnaitre une sorte d'amour instinctif,
soit qu'elle la reconnut seule parmi tous les autres et qu'elle eut
garde le souvenir des efforts que la bonne femme avait faits pour
favoriser son amour. Elle ne fit aucune resistance et se laissa emmener
par elle dans la maison, en poussant des cris dechirants qui jeterent la
consternation et l'epouvante dans tous les esprits.
Lorsque Marcelle, qui avait suivi mademoiselle Bricolin l'ainee, d'aussi
pres que possible, arriva dans la cour, elle trouva la fete interrompue,
tout le monde effraye, et Rose presque evanouie. Madame Bricolin
souffrait sans doute au fond de l'ame, ne fut-ce que de voir cette plaie
de son interieur exposee ainsi a tous les yeux; mais, dans son activite
a reprimer la fureur de l'alienee et a etouffer le bruit de ses cris,
il y avait quelque chose de violent et d'energique qui ressemblait a
la fermete d'un gendarme incarcerant un perturbateur, plus qu'a la
sollicitude d'une mere au desespoir. La mere Bricolin y mettait autant
de zele et plus de sensibilite. C'etait un spectacle douloureux que de
voir cette pauvre vieille avec sa voix rude et ses manieres viriles
caresser la folle et lui parler comme a un petit, enfant qu'on gourmande
et qu'on flatte tour a tour: "Allons, ma mignonne, lui disait-elle, toi
qui es si raisonnable ordinairement, tu ne voudrais pas faire de chagrin
a ta grand'mere? Il faut te mettre au lit tranquillement, ou bien je
me facherai et ne t'aimerai plus." La folle ne comprenait rien a ces
discours et ne les entendait meme pas. Cramponnee au pied de son lit,
elle poussait des hurlements epouvantables, et son imagination malade
lui persuadait qu'elle subissait en cet instant les chatiments et les
tortures dont elle avait fait le tableau fantastique a Marcelle.
Cette derniere, s'etant assuree avant tout que son enfant dormait
tranquillement sous les yeux de Fanchon, eut a s'occuper de Rose, qui
etait egaree par la peur et le chagrin. C'etait la premiere fois que
la Bricoline exhalait la haine amassee depuis douze ans dans son ame
brisee. Une fois tout au plus par semaine elle criait et pleurait quand
sa grand'mere la decidait a changer de vet
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