s, 4 janvier 1852.
Mes tres chers enfants,
Je vous remercie de vos gentilles et bonnes lettres, et de tout ce que
vous me souhaitez d'heureux. A supposer que je puisse etre bien heureuse
au milieu de tant de desolations et d'inquietudes, il me faudrait encore
vous savoir heureux pour l'etre entierement. Mais nous vivons dans un
temps ou l'on ne peut se souhaiter les uns aux autres qu'une bonne dose
de courage pour affronter l'inconnu et traverser le doute.
L'esperance reste toujours au fond du coeur de l'homme; mais, comme
la clarte de cette petite lampe qui veille en nous est faible
et tremblotante dans ce moment-ci! Les huit millions devotes
apprendront-ils au president que sa force est dans le peuple et qu'il
faut s'appuyer sur la democratie dans l'exercice de sa puissance, comme
a son point de depart?
Mais je ne veux pas vous attrister par mes reflexions; je ne veux pas
faire rever et soupirer Desiree et endormir l'aimable Solange, qui,
heureusement pour elle, ne comprend pas encore ce que c'est que la vie.
Donnez, mon bon Charles un tendre baiser a ces deux cheres creatures, et
dites-leur que je les benis comme mes enfants.
Toujours ecrasee de travail et tout a fait malade, je vais devant moi,
faisant ma tache de chaque jour.
Ayons la foi, mes amis, et comptons sur la bonte de Dieu, ici-has et
la-haut.
Je vous embrasse de coeur. Mes enfants vous embrassent aussi et vous
aiment.
CCCXXXVIII
AU PRINCE LOUIS-NAPOLEON BONAPARTE, PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE
Paris, 22 janvier 1852.
Prince,
Je vous ai demande une audience; mais, absorbe comme vous l'etes par de
grands travaux et d'immenses interets, j'ai peu d'espoir d'etre exaucee.
Le fusse-je d'ailleurs, ma timidite naturelle, ma souffrance physique et
la crainte de vous importuner ne me permettraient probablement pas de
vous exprimer librement ce qui m'a fait quitter ma retraite et mon lit
de douleur. Je me precautionne donc d'une lettre, afin que, si la voix
et le coeur me manquent, je puisse au moins vous supplier de lire mes
adieux et mes prieres.
Je ne suis pas madame de Stael. Je n'ai ni son genie ni l'orgueil
qu'elle mit a lutter contre la double force du genie et de la puissance.
Mon ame, plus brisee ou plus craintive, vient a vous sans ostentation
et sans raideur, sans hostilite secrete; car, s'il en etait ainsi, je
m'exilerais moi-meme de votre presence et n'irais pas vous conjurer de
m'entendr
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