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faire des categories d'innocents et de coupables; je m'eleve plus haut,
et, subissant mes douleurs personnelles, je viens mettre a vos pieds
toutes les douleurs que je sens vibrer dans mon coeur, et qui sont
celles de tous. Et je vous dis: Les prisons et l'exil vous rendraient
des forces vitales pour la France; vous le voulez, vous le voudrez bien
certainement, mais vous ne le voulez pas tout de suite. Ici, une raison,
toute de fait, une raison politique vous arrete: vous jugez que la
terreur et le desespoir doivent planer quelque temps sur les vaincus,
et vous laissez frapper en vous voilant la face. Prince, je ne me
permettrai pas de discuter avec vous une question politique, ce
serait ridicule de ma part; mais, du fond de mon ignorance et de mon
impuissance, je crie vers vous, le coeur saignant et les yeux pleins de
larmes:
--Assez, assez, vainqueur! epargne les forts comme les faibles, epargne
les femmes qui pleurent comme les hommes qui ne pleurent pas; sois doux
et humain, puisque tu en as envie. Tant d'etres innocents ou malheureux
en ont besoin! Ah! prince, le mot "deportation", cette peine
mysterieuse, cet exil eternel sous un ciel inconnu, elle n'est pas de
votre invention; si vous saviez comme elle consterne les plus calmes et
les hommes les plus indifferents. La proscription hors du territoire
n'amenera-t-elle pas peut-etre une fureur contagieuse d'emigration que
vous serez force de reprimer. Et la prison preventive, ou l'on jette des
malades, des moribonds, ou les prisonniers sont entasses maintenant sur
la paille, dans un air mephitique, et pourtant glaces de froid? Et les
inquietudes des meres et des filles, qui ne comprennent rien a la raison
d'Etat, et la stupeur des ouvrieres paisibles, des paysans, qui disent:
"Est-ce qu'on met en prison des gens qui n'ont ni tue ni vole? Nous
irons donc tous? Et cependant, nous etions bien contents quand nous
avons vote pour lui."
Ah! prince, mon cher prince d'autrefois, ecoutez l'homme qui est en
vous, qui est vous et qui ne pourra jamais se reduire, pour gouverner,
a l'etat d'abstraction. La politique fait de grandes choses sans doute;
mais le coeur seul fait des miracles. Ecoutez le votre, qui saigne deja.
Cette pauvre France est mauvaise et farouche a la surface, et, pourtant,
la France a sous son armure un coeur de femme, un grand coeur maternel
que votre souffle peut ranimer. Ce n'est pas par les gouvernements, par
les revolutions, par les idees
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