l digne de Corysandre?"
--C'est a moi que vous adressez une pareille question! s'ecria Savine
stupefait.
Cette exclamation et le ton dont elle fut prononcee firent croire a
madame de Barizel qu'il allait ajouter "Moi qui l'aime!" c'est-a-dire le
mot qu'elle attendait si anxieusement et qu'elle avait si laborieusement
prepare, puisque tout ce qu'elle avait dit jusque-la n'avait eu d'autre
but que de l'amener, que de le forcer.
Mais il n'en fut rien: Savine, s'etant remis de sa surprise, se tint
prudemment sur la reserve et resta bouche close.
Alors elle continua, feignant de ne pas comprendre le vrai sens de cette
exclamation:
--Nous vous considerons donc comme notre ami, continua madame de
Barizel, un de nos meilleurs amis, et par ce que je sais, par ce que
j'ai vu, moi, femme d'experience, j'estime que votre esprit est un des
plus surs auxquels on puisse faire appel, comme votre conscience est
une des plus hautes, des plus fermes auxquelles on puisse demander un
conseil. Voila pourquoi, dans les circonstances qui se presentent, j'ai
eu la pensee de m'adresser a vous pour vous poser cette demande qui tout
a l'heure a provoque en vous un moment de surprise. Ai-je eu tort?
Bien que les hasards d'une vie tourmentee l'eussent endurcie, elle etait
tremblante d'emotion en cette minute solennelle qui, en faisant le sort
de Corysandre, allait decider le sien.
La gene de Savine etait grande: la situation en effet se presentait
sous un double aspect, et il fallait la trancher d'un mot sans pouvoir
s'echapper.
Vraiment elle etait cruelle, car s'il ne voulait pas de Corysandre pour
sa femme, il aurait voulu au moins qu'elle ne fut pas la femme d'un
autre, surtout celle d'un ami qu'on mettait sur la meme ligne que lui,
d'un ami qui avait su se faire aimer sans doute, ainsi que cela semblait
resulter des paroles entortillees de la mere, sous lesquelles il
semblait qu'on pouvait deviner les sentiments vrais de la fille.
Durant quelques secondes: il balanca le parti qu'il allait prendre,
enfin l'interet l'emporta.
--Certainement Roger merite tout ce que vous avez dit, tout ce que nous
avons dit de lui; s'il en etait autrement, il ne serait pas mon ami
intime. Toutes les qualites que vous lui avez reconnues, je les lui
reconnais aussi; ce n'est pas la peine de les rappeler, n'est-ce pas?
cependant il y a un point sur lequel j'ai des reserves a poser... je
trouve que la fortune de Naurouse est assez mediocre: quatre
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